Titre tiré de la citation de Henri-Frédéric Amiel: "L'idiot n'a point de cervelle, mais il a le croc venimeux"
Qu’on aime ou qu’on déteste, il faut bien avouer que le cinéma de Quentin Dupieux ne laisse pas indifférent. Mais même ses détracteurs sont obligés de signifier leur respect pour un des rares cinéastes à se détourner des codes habituels de la comédie française contemporaine notamment dans sa manière de concevoir l’absurde. C’est d’ailleurs ce qui fait de lui un réalisateur reconnaissable et reconnu, devenant un de ceux qui peuvent se vanter d’être appelé auteur par la critique. Et je ne me présente pas comme un expert du bonhomme (je n’ai pas vu tous ces films), mais il serait idiot de ne pas reconnaître une démarche artistique et des codes qu’ils perfectionnent au fil du temps. Mais celle qui m’amuse le plus n’est pas souvent cité : ses fins. Là ou beaucoup ont tendance à clôturer leur film de façon à finir un arc narratif, Dupieux va au contraire se stopper à un moment crucial de l’histoire, quand tout prend une ampleur démesurée, si bien qu’on a l’impression de se stopper au moment où Mr. Oizo prend peur de se faire vaincre par son propre absurde. Est-ce que ce n’est pas bizarre de de commencer un film par sa fin ? Mouais, revenons à un quelque chose de plus chronologique.
Dupieux a l’air d’aimer quand les choses sont claires, c’est pour ça que la fonction de tous ses personnages peuvent se résumer en une ligne de texte, les quelques détails permettant de les approfondir étant discrets voir négligeables pour un grand public. Cette simplicité et ce ton presque enfantin qui nous fait prendre en empathie des gens en réalité tous assez détestables (trait masqué entre autre grâce à l’humour) font de cette joyeuse bande de demeurés des gens réalistes qu’on prend plaisir à suivre et s’identifier dans leurs galères. Cet amour pour ses personnages ne s’arrête pas là, car en limitant les interactions au strict minimum (On a sept ou huit acteurs importants et une dizaine de figurants) et en les laissant dans un univers relativement vide de part des endroits du monde assez peu peuplés (sans doute là que vient son amour pour l ‘Amérique profonde), Jean-Gab et Manu deviennent notre seule passerelle avec le film.
Cet effet est aussi grandement aidé par un scénario des plus basiques (Nan une mouche géante ce n’est pas classique, disons plutôt que ce n’est pas lui qui définit l’histoire) avec des personnes simples chamboulées par l’extra-ordinaire. Ce scénario, dont on ne connaît finalement ni les tenants ni les aboutissements, laissent beaucoup de questions : "D’où vient cette mouche ?" "Qu’est devenu le vieux" "Ou est passé Raimondo" "Sont-ils devenus gangster ?" "Qu’est-ce qui va se passer pour Cécile et Agnès ?" etc… On répond finalement à cette curiosité de la meilleure des manières, en nous révélant la première de toutes les questions, le contenu de la boite. Révélation aussi burlesque que décevante, surtout quand on voit toute la mise en scène effectuée autour, mais bien plus qu’un délire d’octogénaire, l’ouverture de cette boite confie quelque chose de plus important, l’absurde créé par Dupieux est aussi beaucoup axé sur l’imagination de ses spectateurs, alors arrêtez de réfléchir et rêvez.
On en revient donc à cette fin et comme dit précédemment, Dupieux sait gérer ses scènes finales. On a souvent un moment de silence en apparence anodin, mais qui se révèle être la clef de compréhension de l’œuvre. Ce regard de David Marais à la fin est directement à l’égard du spectateur, qui lui demande si tout ça n’est pas allé trop loin. Il faut bien comprendre que même au-delà de la mouche, le film fait passer beaucoup de chose avec la suspension consentie d’incrédulité (l’absurde aide beaucoup). Gilles qui ne va pas prévenir la police ni prendre le flingue, le vol de voiture, la crédulité de Cécile, la défaite d’Agnès, les 2 protagonistes qui échappent à la police, le fait qu’ils aient attendu 3 jours que Manu arrive alors que ce n’était qu’une petite livraison légale ect… C’est finalement après avoir exécuté leur plan qu’ils sont pris d’un éclair de lucidité offrant pour la première fois depuis le début du film une version plus adulte, plus enclin à accepter la réalité. Le retour de la mouche c’est la victoire de l’absurde sur son réalisateur, qui n’est pas capable d’enseigner une leçon de vie limite clichée sans que l’extravagant vienne par effraction.
Mandibules s’impose d’entrée de jeu comme l’un des meilleurs films français de l’année, la supériorité de l’absurde sur l’art et une énième preuve de la grandeur du cinéma français