Damien Chazelle ne s'est pas doré la pilule. Car la véritable performance avec son La La Land, c'est d'avoir donné le la en mettant facilement tout le monde au sol et au diapason, pour un résultat qui est tout sauf mi-figue mi-raisin. Autant dire qu'un tel divertissement sans réelle fausse note, ce n'est pas à la portée du premier réalisateur venu.
L'homme derrière l'excellent Whiplash nous décline cette fois sa propre version des quatre saisons. Dès l'introduction, il met le paquet en claquant un énorme plan séquence d'une incroyable fluidité, et qui reste sans doute pour moi la séquence la plus «jaw-dropping» du film. On parlera volontiers de comédie musicale, pourtant, dès les lumières de la salle éteintes, ça ne rigole plus. La Belle et Sebastian dansent (le Mia, évidemment) chantent, volent, tournicotent, à mesure que la caméra virevolte, flottant librement autour d'eux. L'euphorie est palpable dès les premiers instants, la joie des premiers personnages rencontrés étant ô combien communicative. Le bonheur est parfois très simple; tel celui de revoir J.K. Simmons, même s'il est très loin d'avoir le temps de présence à l'écran qu'on lui a accordé en tant que professeur de jazz à l'exigence maladive.
Puis les hommages se multiplient. Au jazz tout d'abord, comme dans le film précédent de Chazelle. Le personnage de Sebastian transpire d'ailleurs la passion pour ce genre. A la comédie musicale dans son ensemble, à Broadway, en bon vieux Technicolor, on nous l'annonce dès le début. Aux Parapluies de Cherbourg, à Casablanca, à Chantons sous la pluie, à West Side Story, tout le catalogue rétro y passe. Des étoiles plein les vieux. J'ai une nette tendance à me méfier de ce genre de rouleau-compresseur, ces œuvres artistiquement calibrées, taillées pour les Oscars, sur-vendues, faisant consensus, un monobloc massif d'enthousiasme de la part de la presse comme des spectateurs. Pourtant, il y a de vrais bon moments de cinéma dans La La Land. Un vrai message. De vrais questionnements. Doit-on renoncer à son intégrité artistique le temps de se donner les moyens de concrétiser un rêve ? A quel moment l'espoir d'un métier devient-il chimère ? De vrais instants de grâce, au détour d'une simple conversation sur le jazz et sa nécessité – ou non – d'évoluer pour perdurer...un peu de profondeur donc, nous voilà devant Dense avec les Stars !
Si je lui ai trouvé quelques longueurs et quelques échanges un brin téléphonés – coucou la dispute lors du dîner, pas très finement menée – force est de reconnaître que le réfractaire à la plupart des comédies musicales que je suis a pourtant passé un très bon moment. Et puis zut ! Après Jake en merveilleux reporter sociopathe puis étincelant militaire déphasé, tout mon univers s'écroule. Me voilà à présent contraint de retirer à son tour Ryan Gosling de ma liste de moulasses. Non pas qu'il fasse preuve d'un charisme fulgurant, non. Il a toutefois le mérite de nous dévoiler une véritable palette. J'avais déjà pu constater assez récemment qu'il savait être drôle – The Nice Guys – et il le prouve à nouveau un paquet de fois ici, à l'image de ce «pisi-kaka» savamment placé à plusieurs reprises, vestige de son séjour en Hongrie pour le tournage du prochain Blade Runner. Ou encore le running gag du klaxon. Il est bon, ouais. «C'est pourtant facile de ne pas se trompette», pour reprendre un célèbre slogan de circonstance. Eh ben v'là t-y pas que le Monsieur, qui porte les costumes ajustés comme personne (cf Only God Forgives pour s'en convaincre), possède en outre une véritable sensibilité artistique, trait que l'on ressentira constamment à l'écran (il a d'ailleurs appris à jouer du piano très rapidement, au point d'être en mesure de reproduire les partoches doublées dans le film, et de rendre jaloux son camarade de jeu John Legend, lui-même musicien accompli). On pourra toujours pester d'avoir à se contenter d'un acteur pas toujours très expansif, il faut toutefois savoir tempérer: on a quand même été à deux doigts de se coltiner Miles Teller. Contre mauvaise fortune (teller) bon cœur, donc !
Emma quant à elle (Stone, pas Watson, même si cette dernière a bien failli avoir le lead), m'avait poliment indifféré dans Birdman, avec son regard aussi expressif que celui d'une loutre (morte). Elle m'a parue ici bien mieux exploitée, et plutôt dans son élément, en wannabe comédienne qui se cherche et se démène. Ses yeux gigantesques dégagent d'ailleurs quelque chose de plus, une innocence, une sincérité, fort appréciable au demeurant, ce qui lui confère un certain charme. Par contre petite parenthèse, et loin de moi l'idée de me moquer, est-ce la photo, ou bien est-ce moi, ou alors ferait-elle bien dix ans de plus que son âge à l'image ? Si tant est que l'on puisse quantifier si facilement le poids des années, je vous l'accorde. Non contents de jouer et de danser, nos deux «tourtes héros» pousseront également la chansonnette, de fort belle manière, dans ce feel-good movie - mais pas trop, la fin nous ramenant à une plus triste réalité, avec un brin de cynisme et de mélancolie. Si ce n'est pas le dénouement que j'attendais en ce qui concerne leur idylle, c'est bien celui que j'espérais pour la dernière oeuvre en date de Damien Chazelle. En ces temps sombres, aussi bien en termes de conflits que d'actualité politique, je préfère donc me laisser berner par La La Land que bercer par le «Lol Hollande». Ou bien est-ce l'inverse ?