Attention, cette critique dévoile des éléments-clés de l’intrigue ! Mais il est impossible de parler de ce film sans spoiler...
Chine, 1947. Un homme exténué (Humphrey Bogart) arrive dans une mission catholique, ayant perdu toutes ses affaires dans un accident. Il se présente comme le père O’Shea auprès du médecin qui dirige l’hôpital. Tout contents de retrouver un prêtre, les villageois se pressent pour recevoir les sacrements de la part du père O’Shea, mais celui-ci ne semble étrangement pas pressé de soigner les âmes, d’autant plus qu’il n’est pas insensible au charme de la belle infirmière (Gene Tierney), qui n’arrive pas à refréner son amour envers un homme de Dieu. Mais celui-ci est-il vraiment ce qu’il prétend être ?
Film à ranger dans la catégorie des pépites oubliées qui mériteraient amplement d’être redécouvertes aujourd’hui, La Main gauche du Seigneur n’en est pas moins un film étrange. Commençant comme un film religieux assez classique, teinté de film d’aventures, sa deuxième moitié n’en finit pas de triturer les méninges du spectateur en le plaçant devant une situation où il est proprement impossible de départager le bien du mal.
Car en effet, le très beau spectacle auquel on assiste devient terriblement ambigu à partir du moment où le soi-disant père O’Shea révèle sa véritable identité, révélant qu’il n’est qu’un prisonnier, James Carmody, ayant trouvé le moyen de s’évader en revêtant l’habit d’un prêtre tué par les Chinois. Dès lors, la première partie du film prend tout son sens puisque cela explique la distance du faux prêtre par rapport à son sacerdoce, mais la situation engendre par conséquent de nombreuses questions : le bien peut-il réellement sortir du sacrilège commis par Carmody pour sauver sa peau ? A partir du moment où Carmody effectue (ou semble effectuer) sa mission de prêtre, permettant ainsi aux villageois d’exprimer leur dévotion et s’attirant leur confiance, est-il nécessaire - est-il même juste - de les détromper ? Dans quelle mesure peut-on leur faire croire à la sainteté de l’homme qui se fait passer pour un prêtre alors qu’il n’est au fond qu’un menteur ?
S’il est évident que le scénario est légèrement biaisé, puisque la conduite la plus logique à adopter aurait été, lors de l’arrivée de Carmody à la mission, de révéler directement la supercherie - bien compréhensible et peu condamnable - au médecin, il a au moins le mérite de poser ces questions passionnantes sans y répondre catégoriquement.
Pour autant, il ne nous laisse pas sur notre faim, et s’il brosse un portrait peut-être légèrement idyllique des relations entre catholiques et protestants dans les missions étrangères (relations qui n'ont pas toujours été au beau fixe, loin de là...), il illustre en tous cas à merveille la piété populaire des Chinois, et leur touchante dévotion envers la religion que les missionnaires leur ont apporté au péril de leur vie. Mais la plus belle leçon que l’on tire de cette œuvre parfois énigmatique, c’est surtout que la grâce trouve toujours un moyen d’atteindre ceux qui en ont le plus besoin, et que même si les moyens employés peuvent nous sembler discutables, la grâce est toujours la plus forte.
Seul regret, j'aurais préféré que le film s’étende plus qu’il ne le fait sur la conversion de Carmody, qui, ayant échappé à la prison matérielle de Mieh Yang, se précipite sans le voir dans une prison bien plus hermétique mais bien plus belle et plus douce : celle de Dieu. La trop grande rapidité de certaines scènes et de certains dilemmes ne gâche toutefois pas le film de Dmytryk qui, posant des questions qu’il ne nous appartient pas de trancher, a le mérite de nous faire réfléchir de la plus belle des manières. Et ce n’est pas sans une larme à l’œil que l’on sort de ce spectacle intense, dur mais puissant et profondément édifiant, en regrettant que le cinéma actuel ne soit plus capable de nous offrir de telles pépites.