Et si le premier grand film d’horreur formaliste n’était pas Shining, mais plutôt le sommet du slasher-movie ? Plus de trois décennies après, Halloween la Nuit des Masques demeure un monument d’angoisse et de suspense à partir de rien ou presque (ce rien étant le grand sujet invisible du film). Aucune effusion de violence ni de gore, aucun effet appuyé si ce n’est sa musique culte omniprésente tout au long du métrage. Le scénario aussi est épuré ; il n’empêche que sa construction est un modèle de perfection (et donc, d’efficacité).
A la fin des 70’s, Moustapha Akkad, qui sera producteur de l’ensemble de la lucrative saga, épaté par la vision de son Assaut, demande à John Carpenter d’écrire et réaliser un film mettant en scène un tueur psychotique s’en prenant à une babysitter. Carpenter et sa compagne Debra Hill confectionnent ensemble le projet, mais modifient sensiblement ses ingrédients. L’auteur s’est exprimé à ce sujet : « Je voulais faire depuis longtemps un film effrayant et c’est Psychose qui m’a donné envie de faire Halloween. J’ai simplement ajouté au film d’Hitchcock une dimension surnaturelle en faisant du tueur masqué une incarnation du Mal ».
C’est grâce à ce parti-pris que cette humble série B à petit voir micro budget (325.000 $) et au tournage de trois semaines deviendra l’un des films les plus rentables de tous les temps (à l’instar de Blair Witch), décrochera une foule de récompenses dont le grand prix d’Avoriaz (1979) et, surtout, marquera la véritable inauguration du slasher, appelé à devenir un des sous-genres les plus fréquentés du domaine de l’horreur. Pour l’anecdote historique, le genre avait connu ses premiers balbutiements avec Black Christmas quatre ans plus tôt, toutefois le film canadien, encore plongé dans une forme assimilable au giallo (genre italien considéré comme ancêtre direct du slasher, notamment par rapport à certains travaux de Mario Bava comme La Baie Sanglante), ne sera pas comme Halloween une matrice dont chaque tics sera inlassablement repris.
C’est le film d’un genre, mais parce que c’est un film autonome sur le fond, avec quelques codes repris et d’autres qu’il va imposer sur la forme. Avant d’être le modèle du slasher (ce qui n’était pas délibéré), Halloween est un film parfait, le spectacle analytique du Mal engouffré dans l’ordre des hommes (ce qui n’était peut-être pas délibéré non plus, c’est le contre-coup du génie). Le spectateur est renvoyé à beaucoup de normes (les amies de Laurie sont des pouffes de leur époque) et concernant le Mal, aux conceptions du Dr Loomis qui pourchasse Michael Myers (les yeux de charbon comme ceux du Diable, par exemple – mais le Diable est encore trop complexe et sinueux). Il n’y a pas de parti-pris idéologique ou de message et sur le fond le film est, en un sens, parfaitement vide. Ce vide c’est celui de Michael Myers venu déchirer la toile doucereuse du réel, celui où tout le monde dort éveillé, celui qui recèle quelque chose de magique tant que le trivial et les désirs ne se font pas trop voir.
Par le biais de Michael Myers le film traduit la présence du Mal, inscrite dans les rouages de l’harmonie du monde, en sommeil permanent. Toutefois Michael est présenté comme une force de la nature insubmersible et implacable : rien ne semble pouvoir en venir à bout. Qu’il n’ait aucune motivation apparente, aucun passé traumatique connu rend d’autant plus impuissant à se rassurer car la rationalisation est encore plus ardue que la résistance à son emprise.
Et ce Mal habitant Myers n’a pas attendu d’être forgé. Il était en lui et s’est déployé ; le choc, c’est que cette première manifestation absolue se produit lorsqu’il a six ans, où il assassine froidement sa sœur de dix ans son aînée. Une enfance dont la vocation est l’annihilation, nette, sans souillure. Myers et Laurie Strode se reflètent à ce niveau : voilà deux jeunes personnes procrastinant pour devenir tout à fait adultes, mais le sont déjà néanmoins, au point d’être précocement secs et placides. Le tueur et l’héroïne sont deux adultes-enfants à l’étroit, lui dans un monde qu’il ne voit pas, elle dans un qu’elle comprend sans parvenir à l’ingérer en profondeur ; lui attendant son heure, elle redoutant la sienne.
Enfin si Halloween exerce une telle fascination c’est pour son effet de réel incomparable, qu’il doit à sa mise en scène subtile et sa simplicité achevée. L’action est resserrée autour de quelques lieux et personnages exposés à fond, quitte à contempler la banalité de leur existence, en sachant toutefois que celle-ci se trouve soudain sous la menace. C’est cet enveloppement du Mal dont l’odeur se fait sentir sans qu’il se trahisse qui alimente la tension. Carpenter gère son film comme une chorégraphie, qu’il épure et aère, capture dans des plans larges et via des lumières crues. Il nous prête la position de Michael Myers en de multiples occasions (la vision subjective) au point que nous sommes mis en position de complice potentiel, mais sans connaître toujours vraiment la nature du regard présent.
On a reproché au film des traits puritains. Il n’y a pourtant pas de posture morale et il n’y en a probablement même pas chez Michael Myers. Toutefois il s’en prend effectivement à de grands adolescents ou jeunes adultes "péchant" par la drogue et le sexe. Probablement ces élans vitaux vulgaires contrarient l’ataraxie de Michael Myers, main sereine et implacable de la Mort. John Carpenter a regretté une telle association, lui dont le cinéma plutôt contestataire, quelquefois proche du mysticisme, est peu enclin à ce genre de préoccupations. L’ironie, c’est qu’on a aussi reproché à son film (et à la suite directe, le très violent Halloween 2, plus encore) d’être une sorte d’hymne à la dégradation et de déversoir de mauvaises passions. Au demeurant, tout le genre subit cette double accusation : fonctionner sur des schémas puritains et les valider ; être racoleur et d’un cynisme démoniaque.
En tout cas, Halloween a forgé les clichés d’un sous-genre horrifique et a contaminé bien au-delà. Ça s’appelle une matrice et en plus c’est un film définitif. Tout y résonne à merveille ; contrairement au genre, justement, parangon de superficialité. Les slashers des 80s avec en vedette les concurrents de Michael Myers l’ont démontré (Freddy et Jason) et même mais dans une très moindre mesure, les nombreuses suites de Halloween.
http://zogarok.wordpress.com/2014/10/30/halloween-la-nuit-des-masques/