Un coup de cœur pour ce film d'une grande force narrative, où Dreyer, par le thème de la Foi et de ses déclinaisons, confronte ses personnages à leurs propres contradictions, jouant de tranquilles joutes verbales, et au ton plutôt optimiste.
Une belle histoire de famille, d'amour et de folie où les menus détails du quotidien renforcent ce portrait d'époque si bien rendu dans sa simplicité, et à la mise en scène épurée. Un noir et blanc aux contrastes francs, et une photographie qui sublime les quelques scènes contemplatives extérieures. Une simple corde où le linge attend que l'on veuille le ramasser, un environnement isolé sous un ciel menaçant, de joncs qui oscillent au grès du vent, rendent parfaitement le drame qui se joue. Des mouvements de caméra fluide, tournoyant au grès des personnages, accompagnant l'extrême lenteur des mouvements, et laissant le temps à la parole de se frayer un chemin dans l'espace. Ce portrait de vie de famille tire alors sa force de dialogues fins et perspicaces, s'accordant quelques saillies humoristiques, venant chambouler le ton plutôt sec et austère de l'ensemble. Tout comme Jour de Colère, le cinéaste oppose à la rigueur de son traitement des envolées plus lumineuses et les acteurs sont incroyables de présence.


Dreyer prend le temps avant de rentrer dans le vif du sujet, et pendant toute une première partie, nous côtoierons une famille vaquant à ses occupations, unie mais non exempt d'incommunicabilité. Nous serons témoins de deux visions de la Foi par le portrait de deux patriarches peu commodes et de leurs enfants, victimes collatérales de leur rivalité, d'un gendre plutôt athée et d'un fils devenu fou en étudiant la théologie... venant prévenir les hommes de leur manque de Foi, tel le Christ redescendu sur terre, et s'adressant à une foule invisible.
En pilier de la famille, le personnage de Inger est mise en valeur dans sa lutte contre l'ordre établi. Douceur et compréhension, don de soi et au doux parler pour intimer à plus de sensibilité envers son prochain. Epouse aimante et aimée de tous, Inger laissera tout son monde dans le désarroi lorsqu'elle succombera. Johannès, lui, continue de déambuler au grès de ses diatribes, serein, ni vu ni entendu, aux monologues particulièrement nourris de bon sens et seulement compris par sa plus jeune nièce, support indéfectible de l'innocence.


Dreyer oppose la vision d'une Foi vraie qui n'a pas été pervertie par le personnage de Johannès.
Cette scène du miracle qui clos le film a quelque chose de jouissif dans son apparition, un beau pied de nez à ceux qui ne jurent que par leurs querelles théologiques sur la meilleure façon de vivre sa Foi, dissertant inlassablement, tout en ne croyant plus à rien. Et on jubile lorsque dans un nouvel élan raisonné, Johannès dira calmement: Pourquoi n'y a-til parmi les croyants, personne qui croie ? Question pertinente s'il en est.


L'aspect surnaturel vient rompre le traitement apposé jusqu'alors, mais peut décevoir par la toute nouvelle Foi qui s'impose au mari d'Inger, veuf inconsolable en nous invitant à rendre grâce à Dieu par le miracle de la résurrection. Dreyer étant un tantinet anticlérical, la réflexion qu'il nous impose, on peut l'espérer, va dans le sens de la réconciliation entre les hommes, entre le visible et l'invisible et invite en tout les cas à choisir la vie et ses bienfaits, et vient se confronter à l'intolérance, à l'aveuglement et autres frustrations d'une Foi dénaturée.


Un bien bel exercice.

limma
9
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le 13 juin 2020

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