Madame Bertini habite Marseille auprès de son mari , directeur d'une petite entreprise. Vivant dans l'ombre de celui-ci, elle n'a pour seul et unique plaisir que de se dévouer et faire plaisir aux autres. Madame Bertini surnommée "madame Berthe" va se retrouver seule à soixante-dix ans, lors du décès de son mari. Deux de ses enfants Albert et Gaston vivent encore dans la région et commencent à "flairer" un certain intérêt en proposant le premier de venir habiter avec la vieille dame et le second de la prendre chez lui. Il est vrai que pour les deux fils, la vie professionnelle n'est pas des plus fameuses et ils pensent qu'une rentrée d'argent serait appréciable. C'est alors qu'à la surprise générale, madame Berthe refuse les solutions proposées. Elle se lie d'amitié avec Rosalie, une jeune serveuse de bar très libérée qui va convaincre Madame Berthe de profiter un peu de la vie. C'est alors que celle-ci vend l'entreprise de son mari, ses meubles et ses bibelots. Se retrouvant avec un petit magot, elle achète une 2 CV et pour finir ses jours, part avec Rosalie découvrir enfin les bonheurs et les plaisirs de l'existence. Au retour de cette belle aventure, il ne lui reste plus rien et c'est le moment pour elle de quitter ce monde discrètement, comme a été sa vie.
C'est avec le sujet de cette nouvelle de Bertolt Brecht que René Allio réalisa son premier long métrage, très remarqué au Festival de Venise en 1965. En effet il nous brosse le portrait très réaliste d'une société classique, dans laquelle tout paraît logique, le mari travaille, ramène l'argent au foyer et profite un peu de cette soi-disant suprématie.. Quant à la femme elle reste dans l'ombre mais elle tient le rôle le plus ingrat en se dévouant pour le noyau familial en écoutant, en consolant et restant aux petits soins pour son mari. Donc dans ces circonstances, rien de plus normal que cette société aux valeurs traditionnelles et rigides soit offusquée lorsque cette vieille dame décide enfin de se consacrer à elle-même et de se défouler au lieu de porter le deuil pendant les quelques temps qui lui restent à vivre . Elle devient, à leur vue, indigne de vouloir rire, indigne de vouloir découvrir le monde, indigne de fréquenter des jeunes aux idées avant-gardistes, indigne de conduire une voiture, pensez-vous... à soixante dix ans!
Ce film tendre et militant dénonce, avec une infinie émotion et une grande efficacité, l'hypocrisie de cette société du paraître et du convenu, cette société où l'on juge sans comprendre au nom de la bonne moralité. Sylvie est une vieille dame adorable et émouvante à souhait, ironique avec le conformisme de la France de l'époque dont Jean Bouise et Victor Lanoux, excellents tous deux, en sont un portrait admirable. Malka Ribovska interprète et représente admirablement cette jeunesse aux idées nouvelles, éprise de liberté elle aussi et qui explosera trois ans plus tard en mai soixante-huit afin de se libérer de son carcan de l'époque.
Cette magnifique réalisation obtint en son temps ses lettres de noblesse dans le septième art, grâce aux talents de visionnaires de Bertolt Brecht et de René Allio et pourtant ce chef-d'œuvre n'était pas édité en DVD. Cet "oubli" heureusement réparé afin que chacun puisse assister à la joie ô combien tardive de madame Berthe.
Extraits du film :
http://www.youtube.com/watch?v=abW3Awsb9Zc