Flemme fatale

Lorsque leur ferme va être vendue aux enchères, trois vaches décident de prendre les choses en main et de partir à la recherche d’un voleur de bétail dont la tête est mise à prix afin de toucher la prime et de rembourser les dettes de leur propriétaire.

On ne voudrait pas basculer dans la caricature en prétendant que l’Histoire est un éternel recommencement et tout le baratin qui va avec, mais il faut dire qu’avec La Ferme se rebelle, on a tout pour le croire, tant il suit son aîné Kuzco sur toutes les étapes de sa difficile production.
Prévu à l’origine pour être un western fantastique s’inspirant de Rudyard Kipling, réalisé par Mike Gabriel à qui on doit les splendides Bernard et Bianca au pays des kangourous et Pocahontas, La Ferme se rebelle vit l’ambition de ses producteurs diminuer peu à peu jusqu’à déposséder son réalisateur initial de ce script pourtant prometteur. C’est ainsi que, suivant le modèle de Kuzco, on passa d’une fresque épique réalisée par un animateur au talent plus que prometteur à une farce délirante réalisée par deux sous-fifres au talent certes indéniable (ils ont été animateurs sur la plupart des Disney des années 90) mais à la vision sans doute beaucoup moins personnelle que ceux qu’ils remplacèrent.
Mais si Kuzco ne pâtit pas trop du changement de propriétaire, il n’en fut pas de même pour La Ferme se rebelle. Car en effet, on peine à en croire nos yeux lorsqu’on voit l’indigence extrême des graphismes et des décors. Tout le caractère épique du film, pourtant existant, se fait écraser par une pauvreté visuelle hallucinante. Comment les vastes et grandioses espaces de l’Ouest ont-ils pu se retrouver aussi étriqués, le mystère reste complet, mais en attendant, c’est bien la principale cause du ratage de ce film.
Car de fait, sur le papier, La Ferme se rebelle semble tout-à-fait honorable. Le scénario, à gros potentiel, tient parfaitement la route dans sa globalité, seuls les détails poussant l’absurde un peu trop loin, ce qui n'est pas nécessairement un défaut en soi (le voleur de bétail qui hypnotise les vaches en yodlant, le choix de vaches comme héroïnes là où trois sœurs humaines défendant leur propriété aurait tout autant – voire mieux – marché sans modifier l’essence profonde du film). En effet, paradoxalement, c’est justement ce sens de l’absurde qui sauve La Ferme se rebelle : en choisissant d’emprunter une voie aussi résolument cartoonesque, le film de Finn et Sanford réussit étrangement à tirer son épingle du jeu.
Instaurant en quelques pathétiques scènes d’introduction un humour lourdingue et désastreux, La Ferme se rebelle parvient à hisser le niveau de scènes en scènes jusqu’à culminer dans la scène franchement craquante de la mine, où, cette fois, le délire fonctionne à merveille, rappelant en cela le final de Kuzco. Si l’humour pénible du début laisse quelques séquelles tout au long du film, on finit par rire de plus ou moins bon cœur, ce qui constitue une véritable surprise.
Là où, en revanche, la surprise est carrément mauvaise, c’est dans ses enjeux dramatiques. Ceux-ci existent, et sont tout-à-fait intéressants, mais les graphismes et le délire complet de l’ensemble sabotent constamment leur effet. Et c’est quand on se rappelle à quel point Le Livre de la jungle, Les Aristochats, ou Robin des bois réussissaient à allier le délire cartoonesque, l’élégance des graphismes et l’émotion profonde que l’on réalise jusqu’où sont tombés les studios Disney…
Fort heureusement, un mauvais Disney reste un film d’animation somme toute passable, et grâce à un fort potentiel, très inégalement exploité mais bien présent, aidé par une BO tout-à-fait sympathique d'Alan Menken, La Ferme se rebelle réussit à ne pas être le navet tant redouté. Finalement, il n’est qu’un film pas méchant, juste insignifiant.