Clint the legend
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C'est cool de parler de raccourcis.
Alors même qu'on en utilisera encore une fois pour qualifier ce Cas Richard Jewell et son réalisateur. Les prosélytes parlent ainsi de réquisitoire contre le gouvernement US, de simplisme, de droitisation du cinéma de Clint Eastwood. Une triste habitude depuis 2014 et American Sniper.
On parlera aussi, oh nouveauté, du fait qu'il va jusqu'à violer la réalité des faits... Comme à peu près chaque film qui se permet une certaine licence quand il adapte un bouquin ou une histoire vraie.
Un mauvais procès en somme.
Mais des raccourcis qui rejoignent finalement un peu le thème du film : on y pointe du doigt un coupable idéal, que l'on brûle après l'avoir hissé au rang de héros. Que l'on donne en sacrifice pour nourrir la machine médiatique, l'institution judiciaire qui piétine et la fascination morbide de l'opinion.
On y pointe du doigt l'américain très moyen qui sort des canons de l'héroïsme : trop gros, trop moche, trop fasciné par les armes ou l'uniforme, trop naïf, béat et respectueux de l'autorité, qui habite encore chez sa mère et que l'on dédaigne ouvertement. Qui doit rentrer à tout prix dans la case du portrait robot du pompier pyromane, du loup solitaire, du terroriste qui veut s'inscrire à la une de CNN et de Fox News.
Soit le portrait de l' outcast victime de ses apparences parfois pas très reluisantes. Soit le portrait de l' outcast et de son monde étriqué, coincé entre son image de bébé-à-sa-maman et son boulot minable. Richard Jewell tente d'exister mais y échoue. Richard Jewell tente de rendre fière la seule personne de son entourage famélique.
Richard Jewell n'est pas un héros, il est la figure de proue de l'Amérique des petites gens prises au piège de l'inexistence aux yeux des autres.
On vous expliquera sans doute que le film est nécessairement politique puisqu'il s'en prend sans nuances aux médias, illustrés par cette pétasse arriviste sans foi ni loi qui se vend pour un article. On vous expliquera sans doute que le film est nécessairement politique puisqu'il s'en prend à l'institution judiciaire, illustré par un connard blasé et truqueur qui ne respecte pas la loi qu'il est chargé de faire appliquer.
On vous dira sans doute que le discours politique de Clint est bancal et envahissant.
Sauf que Le Cas Richard Jewell est avant tout un portrait intime de l'Amérique qui existe à peine et qui indiffère. Un homme trop gentil mais frustré, fasciné par l'ordre et trop bien élevé pour se dresser contre un système qu'il soutient mordicus. Paul Walter Hauser lui apporte toute sa bonhomie, sa modestie, sa simplicité, sa volonté de bien faire qui joue systématiquement contre lui et qui l'enfonce un peu plus encore dans une spirale infernale. Richard Jewell est un de ces gros ours en peluche candides et limite idiots que l'on se plait à dédaigner et à traîner dans la boue. Avec pour toute réponse un sourire ou une réflexion qui aggrave son cas. Un sacrifice facile et qui ne coûte rien.
Le Cas Richard Jewell révolte et attriste. Car cette quête de dignité, ce récit d'émancipation à marche forcée est filmée de la manière la plus intime par un Clint Eastwood qui ne juge jamais son personnage principal, qui ne donne qu'à ressentir, qu'à faire comprendre les vexations dont on réalise qu'elles font partie du triste quotidien de sa vie. Un homme isolé qui n'a jamais réussi à couper le cordon. A dire non, à se rebeller.
Le classicisme et l'épure de Clint Eastwood font le reste. La fluidité du Cas Richard Jewell coule de source. Son authenticité aussi. Aucune esbroufe, aucun mouvement de caméra effectué à mauvais escient. On ne peut prendre que fait et cause pour cet homme débonnaire et placide, quasiment étranger parfois à l'infernale spirale qui l'emporte.
Clint est donc une fois de plus au rendez-vous d'une sincérité à fleur de peau et d'un portrait désenchanté d'une certaine idée de l'Amérique.
Behind_the_Mask, qui a saisi une dangereuse paire de collants.
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le 19 févr. 2020
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