"Une année, un film" : Le Docteur Mabuse, Fritz Lang, 1922.
Fritz Lang est un cinéaste à la popularité déjà grandissante lorsqu’il réalise Le Docteur Mabuse en 1922. L’histoire nous plonge dans le contexte sombre et difficile de la République de Weimar, et nous fait suivre les supercheries du Docteur Mabuse. L’homme est un criminel bien connu, aux identités multiples. Le film est un diptyque au travers duquel on découvre les subterfuges du Docteur Mabuse, et sa détermination à les mener à bien. Nous suivons alors durant les 4h30 de film un véritable jeu du chat et de la souris entre le procureur von Wenk, qui enquête sur le « Great Unknown » (c’est-à-dire le Docteur Mabuse) et Mabuse lui-même. Au fil de l’histoire, Mabuse va berner, et faire plusieurs victimes, toutes piégées par ses multiples déguisements et ses techniques d’hypnose.
Voici donc l’un des plus vieux, voir le plus vieux film que je connaisse où le personnage principal est le méchant. Pour incarner le machiavélique Docteur, Fritz Lang a fait appel à Rudolf Klein-Rogge, parfait dans sa dégaine de génie fou, avec son regard si éloquent. Il est d’ailleurs sympathique de trouver le duo Rudolf Klein-Rogge – Alfred Abel que nous retrouverons cinq ans plus tard dans le chef d’œuvre de Fritz Lang, Metropolis, avec des rapports de force bien différents, mais un Klein-Rogge toujours aussi fou. Le Docteur Mabuse est l’exemple parfait du vilain machiavélique. Il est d’ailleurs bon de noter le titre entier du film : Dr. Mabuse, der Spieler, ce qui signifie « le joueur » en français. C’est en effet ce qu’est avant tout Mabuse, un homme qui manipule les gens et joue avec leur destin, par pur plaisir personnel, mais aussi par intérêt, comme en témoigne la géniale scène d’introduction avec la grande supercherie qu’il met en place à la Bourse. C’est seulement par l’intervention d’éléments extérieurs, ainsi que de nouveaux personnages, que Mabuse va devoir modifier son jeu, et employer des moyens plus radicaux, tout en élaborant des plans tous plus géniaux les uns que les autres. Inutile de dire que Fritz Lang accorde une nouvelle fois un soin des plus particuliers à la réalisation, comme d’habitude en avance sur son temps, et contribuant énormément à la réussite qu’est ce film. On me souffle d’ailleurs qu’il durait 4h30, mais je ne m’en suis pas rendu compte.
Car la principale qualité de ce Docteur Mabuse est son rythme, effréné, palpitant, un film mené tambour battant, ne laissant pas à l’attention du spectateur la moindre occasion de s’émousser. C’est un film qui se situe dans la pure veine de l’expressionnisme, avec ses jeux de lumière, ses décors et, surtout, ce personnage central si emblématique du mouvement, possédant des pouvoir naturels et se métamorphosant. Mabuse est comme le diable lui-même, manipulant les autres et changeant d’apparence comment et quand il le souhaite. Il sera amusant, d’ailleurs, de remarquer un bref échange à la fin de la première partie, entre le comte Told et le Docteur Mabuse, où le premier demande au second : « Que pensez-vous de l’expressionnisme, Docteur ? » , auquel Mabuse répond « L’expressionnisme est un jeu… Mais pourquoi pas ? » . Un échange qui fait forcément penser à la volonté de Fritz Lang de ne pas être limité à la simple étiquette de cinéaste expressionniste, même s’il a grandement influencé le mouvement au cinéma.
C’est grâce à une brillante science du montage et du rythme, et de grands acteurs que ce Docteur Mabuse peut-être considéré comme une grande oeuvre, faisant de ce long-métrage un film dynamique, moderne, prenant et captivant. C’est le quatrième film de Fritz Lang que je vois, et je suis une nouvelle fois séduit. Mabuse est un personnage charismatique, extrêmement intelligent et on adore le voir jouer les caméléons tout au long du film. Car personne ne résiste au Docteur Mabuse, et il aura toujours une longueur d’avance sur vous !
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art