Le gaucher, c’est l’irruption d’un personnage hors norme dans le cadre jusqu’alors assez rigide du western, qui a souvent privilégié des enjeux plus larges et des thématiques plus amples que les contradictions d’un individu.
Billy the kid pourrait dans les premières séquences faire penser au Lennie de Steinbeck : un sourire d’enfant, une façon irraisonnée de vivre les événements, incompatible avec la brutalité du monde. Lorsque la figure du premier père est abattue, le jeune homme perd à la fois l’innocence et la raison, sans se départir de sa juvénile approche du réel. Penn restitue une errance un peu idiote, assez proche de la jeunesse wasp de la fin du XXème siècle, où l’on agit sans réfléchir, avec le divertissement pour seul horizon.
Paul Newman, solaire et torturé, habité, s’écorche avec toute la splendeur des grands personnages : c’est avant tout sa fêlure qui contribue à son aura.


L’un des grands intérêts du récit repose aussi sur la construction de la légende, en cela assez proche de ce que sera Bonnie & Clyde : outre une sympathie plutôt assumée pour la figure du hors la loi, Penn étudie la figure, son baptême par la presse et les livres écrits, ironie du sort, sur un héros analphabète. A la fois grisé et miné par ce statut, Billy vit les déchirures d’une star involontaire, incapable de rester dans le cadre, en témoigne cette très belle séquence où on lui demande, pour une photographie, de rester immobile durant trente secondes.


Le western se complexifie, et les figures manichéennes se craquellent : il ne s’agit plus d’appartenir à un camp, mais de savoir, en tant qu’homme et non en tant que personnage, évoluer vers des concessions et une maturité qui permettront aux actes d’être moins radicaux. Le thème du pardon, de l’amnistie, ou du rappel à la loi hantent ainsi les liens du protagoniste avec son entourage, et les rapports avec Pat Garrett délimitent un nouveau rapport au père tout à fait passionnant.
En adoptant le point de vue du jeune inadapté, Penn crée une empathie singulière : le monde est violent, les rapaces y sont légion, à l’image de la figure de Moultrie, le biographe qui semble annoncer le formidable personnage de Beauchamp dans Impitoyable.


C’est là un des grands apports du cinéma de Penn : ce lien ambivalent au personnage, cette alliance entre distance critique et compassion, voire tendresse. Sur ce registre, Newman excelle, et le western peut se hisser au niveau de la tragédie, dans laquelle la fougue de la jeunesse, qu’on retrouvera dans Butch Cassidy et le Kid, rencontre irrémédiablement le mur de la raison, les sourires du jeu se figeant sous les pluies plombées du réel.


(8.5/10)


http://www.senscritique.com/liste/Cycle_Arthur_Penn/1298312

Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Psychologique, Western, Violence, Les meilleurs films sur l'amitié masculine et Merci la médiathèque

Créée

le 21 avr. 2016

Critique lue 1.1K fois

34 j'aime

10 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

34
10

D'autres avis sur Le Gaucher

Le Gaucher
Docteur_Jivago
8

Les gamins en folies

Alors qu'un cow-boy, William "Billy the Kid" Bonney semble errer dans le désert, c'est à ce moment-là qu'il rencontre un éleveur anglais qui va lui proposer un boulot et le traiter comme son égal...

le 19 févr. 2015

28 j'aime

6

Le Gaucher
guyness
8

L'arme à gauche pour une âme gauche

Ce gamin n'y voyait pas à mal. William Bonney est un jeune cow-boy un brun idéaliste, sans doute plein de bonne volonté et soucieux de faire oublier son passé ombrageux. L'introduction du film est en...

le 31 juil. 2011

22 j'aime

11

Le Gaucher
Ugly
7

Le Far West psychologique

Le Gaucher est une sorte d'anti-western, une étude presque psychanalytique du personnage de William Bonney dit Billy the Kid ; au diable l'épopée et l'imagerie du Far West triomphant, le Billy...

Par

le 3 oct. 2018

17 j'aime

17

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53