Toi qui entres ici abandonne toute espérance. La lente, mais inexorable, métamorphose de la saga Death Wish/Un justicier dans la ville en un gigantesque exutoire pour tous les fantasmes réactionnaires d'une Amérique aussi profonde que conservatrice atteint son paroxysme avec ce 3ème opus. Ce volet est d'ailleurs la dernière collaboration entre le réalisateur Michael Winner et l'acteur Charles Bronson et c'est pour le mieux : ils font là leur chef d'oeuvre, un morceau de péloche tellement ultime qu'il n'y a pas besoin d'en rajouter... ce qui n'a pas empêché la Cannon d'en produire encore 2 autres derrière mais ça, c'est une autre histoire.


L'histoire, parce que : oui, il y en a une, ramène Paul Kersey à New York, plus de 10 ans après sa croisade meurtrière, pour rendre visite à un vieil ami. Il parait important de souligner que lorsque Kersey a perdu sa femme le vieil ami en question ne s'est même pas bouger le cul pour aller aux funérailles, merci les copains. Bref, Kersey prend le bus pour aller voir l'autre ingrat et là, patatras, son pote se fait dérouiller la gueule par un gang. Paulo arrive, la police aussi, quiproquo sur qui à fait quoi, direction la taule pour notre brave architecte meurtrier. Quelques incartades et comparaisons de quéquette plus tard un flic pas très à cheval sur la déontologie propose à Kersey de nettoyer les rues avec sa bénédiction. Tant mieux pour Kersey qui n'avait de toute façon rien de mieux à faire.



On est trop vénèr



Cette fois-ci ça y est : la police demande officiellement à Paul Kersey de faire le ménage. La tension sexuelle qui régnait entre ces deux là était insoutenable, ça titillait tout le monde mais dès les premières minutes du Justicier de New York l'autodéfense et la justice sommaire sont placées sur un pied d'égalité avec le droit. Ouf, on respire mieux à l'extrême droite de la salle de cinéma. Comme pour le second volet il n'est ici pas question de justice mais bien d'une simple vengeance, voir même d'un simple prétexte, mais ce n'est pas grave tant qu'on n'essouffle pas trop les neurones. Ce parti-pris posé sans plus de subtilité s'inscrit dans un état d'esprit généralisé qui semble avoir gagné l'intégralité de l'équipe de tournage, du réalisateur jusqu'au régisseur plateau en passant par les acteurs. Un état d'esprit simple, clair, fort et rassembleur comme un slogan de Jean-François Copé : On s'en bat les couilles.


Charles Bronson s'en bat les couilles, 64 ans au compteur et il ne fait aucun effort pour que ça ne se voit pas. La moustache grise, le visage bouffi, les intentions de jeux laissées à la loge, il semble donner tout ce qu'il a pour grimper des escaliers sans se démettre la hanche. Autant pour lui que pour Winner, ce film est un peu la seule opportunité de croquer les miettes de gloire du passé mais ni le talent ni l'envie ne sont au rendez-vous. Ce qui n'empêche cependant pas Don Jakoby, le scénariste qui utilisera finalement un pseudonyme à cause de trop nombreux remaniements au cours de la production, de s'en battre lui aussi complètement les couilles et d'écrire le personnage de Kersey comme s'il avait 25 piges. En découle donc plein de petits moments gênants où Bronson se meut avec une grâce toute gériatrique. Le clou du spectacle est atteint lorsqu'il essaye de jouer les jolis coeurs auprès d'une très jeune avocate. Une histoire d'amour, tout ce qu'il y a de plus artificielle, qui ne fonctionne jamais mais qui ne sert pas qu'à flatter la virilité du héros. En effet la jeune femme est avocate de la défense donc elle passe son temps à assurer les droits des criminels. La domination sexuelle dont elle fait l'objet par le personnage de Bronson est donc également idéologique. Mais ça ne s'arrête pas là puisqu'elle sera tué bien gratuitement afin de fournir à Kersey un énième motif pour péter la gueule à la racaille.



Ces bâtards on va les fumer



Mais le battage de couilles de Jakoby ne s'arrête heureusement pas au traitement du personnage de Kersey puisque que Le justicier de New York aurait très bien pu s'appeler Braves gens contre vilains punks. Non seulement Kersey a la bénédiction des forces de l'ordre mais en plus il va évangéliser son quartier: couples bien sous tout rapports, retraités, tout le monde va devenir justicier. A bien y regarder, ce long métrage est en fait une version anticipée, et labellisée carte vermeille, de Maman j'ai raté l'avion qui ne sortira que 5 ans plus tard. L'immeuble où vit tout ce beau monde se voit ainsi truffé de pièges en tout genre pour repousser l'envahisseur. Mais plus que ça encore le vrai génie du scénario c'est de consacrer le tiers de son script à une version urbaine de Rambo. On s'en bat les couilles, on fait n'importe quoi et on fait péter tous les immeubles du quartier. Le dernier acte est donc un gigantesque bordel où des mecs tirent dans tous les sens, meurent et tombent des toits par dizaines. Avec Le justicier de New York Paul Kersey devient officiellement la cause principale de mortalité de l'année 1985 aux USA.


On s'en bat les couilles également du côté de la direction artistique avec un méchant gang qu'on jurerait tout droit sorti de Streets of Rage 3, même si le jeu n'existait pas encore. Chez lez voyous il n'y a pas que l'accoutrement qui est surréaliste, il y a aussi le jeu d'acteur et les coiffures. En leader (apparemment) charismatique (non parce qu'à l'écran ça ne se ressent pas vraiment) Manny Fraker est au top de sa forme. Il porte une élégante crête inversée (rasé au milieu et des touffes sur le côté du crâne) afin de permettre au tatouage distinctif du gang, une ligne rouge depuis l'arrière jusqu'à l'avant du crâne croisée par deux traits noirs sur le front, de s'épanouir pour le bonheur de nos yeux. Si ce détail est particulièrement révélateur il ne faut pas perdre de vue que, globalement, tout est craignos visuellement. Il faut dire merci à Michael Winner qui s'en bat aussi bien les couilles de son côté avec une multitudes de plans complètement dégueulasses (il suffit de voir l'intro du film pour s'en convaincre) et une mise en scène globalement en roue libre. En même temps difficile de lui en vouloir tant le bonheur simple de voir Charles Bronson nettoyer les rues à la mitrailleuse automatique Browning se satisfait à lui même. Afin de bien nous faire comprendre que Kersey en a dans le pantalon il utilise un .475 Wildey Magnum, un flingue dont le canon est tellement long que même la Californie peut sentir l'odeur de la poudre. La légende veut qu'à chaque rediffusion télévisée du Justicier de New York la firme Wildey vend des caisses entières de ce flingue. Quel homme ce Paul Kersey, il fait vivre l'économie de son pays. D'aucuns diront que c'est inquiétant d'imaginer des adultes avoir une envie subite de gros flingue juste parce qu'ils voient Charles Bronson jouer avec, mais ça serait vraiment très rabat-joie de leur part. On s'en bat les couilles, faire dans la dentelle c'est dépassé, il faut tirer dans le tas à l'arme de guerre, ni plus, ni moins. Rappelons à toute fin utile que la police est ok avec tout ça... elle est tellement ok qu'elle débarque pour prêter main forte à Kersey et son armée de contribuables en colère. Afin de respecter complètement le cahier des charges de la Cannon le tout est filmé avec la plus grand complaisance: on viole, on tue mais surtout... on s'en bat les couilles ! Oui ! Exactement !



Nique sa mère les bâtards



Il convient de s'arrêter quelques instants sur la cerise trônant au sommet de ce gâteau : Le justicier de New York c'est quand même le film où le héros se fait livrer par la poste un lance-roquette pour affronter des voleurs de sac à main.


PAR LA POSTE ! Le facteur lui donne un paquet, il l'ouvre et OH ! EXACTEMENT CE QUE J'AVAIS COMMANDÉ !


UN LANCE-ROQUETTE !


PAR LA POSTE !


Ca valait bien un paragraphe entier juste pour ça. On s'en bat les couilles, ne l'oublions pas.



On bicrave aux puces à NYC



Le point de non retour du battage de couilles est atteint tellement vite et avec une telle conviction que Le justicier de New York ne peut être considéré autrement que comme un diamant brut. Le niveau de connerie stratosphérique, sur le fond comme sur la forme, de ce film confère presque au génie. La Bronsonsploitation a enfin atteint sa forme finale, le magnifique papillon que voilà prend son envol sous nos yeux ébahis. Mais l'émerveillement cache aussi un drame : nul n'est dupe et chacun sait que la Bronsonsploitation ne pourra pas survivre bien longtemps après un tel chef d'oeuvre. Déjà bien déclinante au moment de tourner Le justicier de New York, la carrière de Bronson va continuer à s'enfoncer dans les limbes du ridicule et de l'oubli. La mise en chantier, très rapide, d'un quatrième volet d'Un justicier dans la ville ressemble d'avantage à de l'acharnement thérapeutique qu'à autre chose. Crevé mais increvable, Paul Kersey n'en a pas fini avec les pourris qui souillent son pays.


Si vous en voulez encore, vous pouvez (re)lire la critique sur Un justicier dans la ville ou celle sur Un justicier dans la ville 2.

Vnr-Herzog
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le 20 avr. 2016

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