Ô Nathalie !
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le 28 mai 2015
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Loin des conventions du genre, mais aussi des représentations courantes sur la police, Le petit lieutenant rappelle L.627 de Tavernier. Par rapport à cette immersion dans la PJ, il est plus posé, plus 'vibrant' humainement, attaché aux spécificités des personnages plus qu'à la myriade de petites affaires. On est également loin de la balade pour majorettes type Polisse de Maiween. Le style Beauvois (déviant par rapport à l'optique 'film de genre', fusionnant drame très expressif et réalisme cru) exulte sans fracas. L'écriture est dense et simple ; Cédric Anger, futur réalisateur de La prochaine fois je viserai le cœur (avec Canet en gendarme 'psychorigide' et tourmenté), participe au scénario (après avoir été crédité à ce poste pour la première fois via Selon Matthieu, troisième et précédent long de Beauvois).
Pour concevoir ce film, les auteurs se reposent sur plusieurs semaines passées dans des commissariats. S'il n'y a le côté documentaire 'strict' de L.627, Le petit lieutenant se veut néanmoins le plus conforme possible à la réalité (et donne un aperçu des différents départements, des mœurs institutionnelles ou ordinaires) ; en s'y soumettant il corrompt les constructions ou les pactes tacites de la narration. Les repères du film n'ont pas de prise sur les aléas, la sauvagerie des faits ; ils ne sont ni maîtres de leur temps, ni vigiles d'un jeu. La plupart des flics sont des amalgames de cow-boy placide et de fonctionnaire sous pression. Le trait commun à ces hommes, des plus rodés aux plus naïfs, est la solitude. Deux personnages dominent le temps du film. Le premier est Antoine (Jalil Lespert), le jeune transfuge du Havre, enthousiaste, voyant cette mutation (dont il a choisi le lieu) comme un tremplin vers l'aventure, le dépassement de soi, voire une certaine jouissance. Or la seule griserie consiste à jouer avec son gyrophare ; sûrement à exhiber son gros badge hors-champ. Pour le reste, plutôt que faire les lois ou en tirer son profit (hédoniste et gamin, pas celui d'un prédateur), il les subit plus fort que le commun des mortels.
L'autre personnage majeur est le commandant Vaudieu (par Nathalie Baye – déjà personnage principal dans Selon Matthieu), alcoolique susceptible d'avorter sa rémission. En s'ouvrant sur leur double arrivée dans les locaux du commissariat parisien, le film renforce la sympathie et l'ancrage 'décalé' du spectateur, lui aussi débarquant avec son lot de préjugés. Si ce territoire n'est pas encore bien connu, il semble vite familier tant la surprise gratuite en est absente, tant les montées d'adrénaline y sont rudes, la grisaille impitoyable, les urgences insolubles. La toute-puissance de l'engagement de flic, l'écrasement par la tâche, sont parfaitement sentis ; même les succès ont un goût amer. On vit avec les faits, froids, impressionnants mais nullement spectaculaires. C'est l'anti 'show must go on', un refrain où les orgueilleux (ou moralistes) blasés trouvent leur place, en s'enterrant mieux que tant d'autres. Il faut aller au bout d'une vocation, même quand elle prive d'espoir ou consume ; pour eux la sécheresse de l'existence ne vient pas du dehors, il ne font que la confronter (et la poursuivre où elle se déploie sans eux), comme on va dans le sens de ses instincts – ou de sa zone de confort, comme on dit lorsqu'on voit des paresseux et des coupables partout.
Au second rang on trouve Beauvois lui-même : 'héros' de ses deux premiers longs (Nord et N'oublie pas que tu vas mourir – où Roschdy Zem interprétait alors un dealer et camé servant de passerelle à Beauvois/Benoît vers son escapade – ici, il est un proche collaborateur d'Antoine), il interprète ici un second rôle. Son personnage est le plus orienté du film et, sans être le plus compromis ou irritant, c'est sûrement le moins glorieux ; une sorte de beauf sympa, lucide mais un peu 'médiocre' et gras dans tous les sens du terme. Beauvois semble cultiver avec lui sa tendance à l'auto-dérision, surtout sur le plan physique. Cette fibre maso (inoffensive, légère, mais claire) chez (liquidée via ?) ses personnages semble la manière la plus positive, y compris pour se renforcer eux-mêmes, d'orienter une agressivité explosive et de tempérer un regard perçant (et réducteur), démoralisant, sur l'existence, les relations humaines, la fonction et les alibis de chacun.
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Créée
le 18 janv. 2016
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