J'ai assisté à une projection en présence de la réalisatrice. Le film donne la parole à une multitude de psychanalystes que Sophie Robert présente comme « bien installés ». Ils/elles forment parfois eux/elles-mêmes d'autres psychologues, psychiatres ou psychanalystes. Ce ne sont pas des « clowns », des marginaux dans leur discipline, mais des personnes plutôt influentes dans leur milieu, qui tirent leur légitimité de leurs autres qualifications (de psychologues ou de psychiatres), et ne mettent pas forcément en avant leur étiquette de psychanalystes, explique-t-elle. Cela ne les empêche pas de partager des théories psychanalytiques communes qui, d'après elle, imprègnent fortement leurs pratiques.
Le film est un montage d'une multitude d'entretiens menés avec des psychanalystes pour les amener à expliciter leurs théories. Il montre assez efficacement que des conceptions communes reviennent dans la bouche de plusieurs psychanalystes interrogés. Leur simple énonciation suscite la sidération, l'hilarité ou la consternation dans le public, sans qu'il ne soit besoin d'en commenter l'inanité. Les psychanalystes du film semblent obsédés par les organes sexuels masculins, et débitent des tas d'idées délirantes voire dangereuses : les femmes seraient des hommes incomplets, sans sexe, non désirables, l'homosexualité serait une mauvaise pratique... Plus grave encore : ils/elles ont tendance à prendre le contre-pied de ce que disent leurs patients : s'ils n'ont pas de trauma, ils leur en inventent un et les convainquent qu'ils ont dû subir quelque chose de tellement grave dans leur enfance qu'ils ont tout oublié... et inversement, s'ils viennent parler d'un événement qui les traumatise, les psychanalystes leur disent qu'il ne faut pas employer les grands mots, ne pas parler de « viol », ne pas se considérer « victime d'inceste » ou de pédophilie — concept critiqué en lui-même par des psychanalystes qui estiment que ce sont les enfants qui ont un désir ou des pulsions sexuelles envers leur mère ou d'autres adultes, et qu'ils sont responsables de ce qu'ils subissent... Tout cela choque inévitablement, et quelques témoignages dans le public viennent confirmer que certains psychanalystes ont ajouté de la souffrance à leurs patients, bien loin de leur apporter de l'aide, allant parfois jusqu'à abuser sexuellement de patients autistes ; la présidente d'une association de victimes d'agressions sexuelles invitée à la projection avance le chiffre d'une durée moyenne de 13 ans en France pour qu'une victime arrive à tomber sur un thérapeute qui l'aide vraiment, et soutient que beaucoup de temps est perdu à cause de thérapies psychanalytiques inefficaces ou contre-productives.
On pourrait regretter que les questions posées aux psychanalystes n'aient pas été conservées au montage, et que de nombreuses coupes aient été effectuées dans les propos des psychanalystes, parfois à l'intérieur même de leurs phrases. C'est d'ailleurs de ces coupes que des psychanalystes ont tiré argument pour intenter des poursuites judiciaires contre la réalisatrice, parvenant à retarder la parution du film jusqu'à cette année 2019 (sans cela, il serait arrivé sur les écrans « en 2013 ou 2014 »). La cour d'appel qui a tranché en faveur de la réalisatrice a cependant considéré, après visionnage de l'ensemble des entretiens bruts, que le montage effectué ne trahissait pas le propos des psychanalystes interrogés. Ma confiance dans le travail des juges étant corrélée à la probabilité que Jérôme Cahuzac fasse de la prison ferme, j'aurais apprécié de trouver les entretiens accessibles en bonus du film sur le site web de la production, pour me faire ma propre idée sur la fidélité du montage aux propos d'origine (la présidente de l'association de victimes invitée ne s'est d'ailleurs pas privée de critiquer les juges lorsqu'il était question d'affaires d'agressions, d'inceste, etc.). De même, la réalisatrice explique avoir rencontré « 52 psychanalystes, de toutes obédiences, afin d’avoir une vision très large et représentative de la situation », mais elle ne détaille pas quelle a été sa démarche pour constituer son échantillon, ni comment elle est passée de 52 rencontres à 19 entretiens. Elle indique dans son dossier de presse avoir mené une « enquête de fond » de 4 ans pour s'assurer qu'elle n'était pas « tombée par hasard sur une bande d'extrémistes », mais cette enquête n'est pas publiée.
Il faut ajouter à ces limites de méthode que vient s'intercaler entre les entretiens un dessin animé présentant l'histoire d'une femme qui se rend chez une psychanalyste. Celle-ci a un visage de méchante, elle est dépeinte comme vénale, peu intéressée par la vie de sa patiente, qui ne fait qu'aller de plus en plus mal. Cette histoire revient tout au long du film, et il est difficile de ne pas y voir le sous-entendu qu'il s'agirait d'une consultation typique chez une psychanalyste. La réalisatrice confirme d'ailleurs cette vision dans le débat : d'après elle, « 90 % des psychanalystes » ont des conceptions aussi délirantes que celles exposées dans le film. Mais ce chiffre semble sorti du chapeau, et non appuyé sur une enquête statistique auprès d'un large échantillon de psychanalystes. Elle défend pourtant l'hypothèse d'une profonde imprégnation de la psychanalyse dans notre société... sans donner de sources, de matériaux vérifiables permettant de contrôler ce qu'elle soutient – mais il est vrai que le cadre du débat dans une salle de cinéma n'est pas optimal pour échanger des références bibliographiques... Son principal argument quant à la représentativité de ses interviewés est que leurs propos ne seraient pratiquement pas remis en cause dans la communauté psychanalytique : ils profiteraient au contraire de positions bien installées, avec la complicité passive de la quasi-totalité des psychanalystes... À part les quelques-uns qui, précisément, ont donné l'alerte à Sophie Robert. On peut regretter qu'elle n'ait pas précisé comment elle a réussi à les trouver, au regard de leur prétendue quasi-inexistence !
Pour moi, la question demeure : existe-t-il vraiment des travaux permettant de montrer rigoureusement son hypothèse ? D'après elle, « la psychanalyse est une corporation influente dans notre société présente largement dans l’enseignement des sciences humaines, les médias, la justice », mais aussi dans « le domaine du soin, les facultés et les hôpitaux ». Beaucoup de journalistes et de politiciens auraient personnellement recours à la psychanalyse, ou auraient des liens avec cette « secte », comme elle l'appelle – liens qu'une journaliste aurait commencé à vouloir démontrer, avant d'abandonner en raison de « pressions » subies. Ce point expliquerait que la discipline soit encore bien installée en France, sans subir d'interdiction par voie légale ou de critiques journalistiques suffisantes : on trouve des psychanalystes en pratique libérale, dans les centres médico-psychologiques, dans les institutions psychiatriques « sous couvert de thérapie », dans les facs de psychologie (où la psychanalyse s'appelle parfois « psychologie clinique »), les facs de droit et de philosophie (seules celles de Clermont-Ferrand et de Chambéry seraient épargnées)... l'expertise de psychanalystes serait très régulièrement requise par des tribunaux pour évaluer des prévenus dans le cadre d'« expertises psychiatriques », conduisant les juges à prendre de mauvaises décisions, comme de confier des enfants à un père violent pour les éloigner d'une mère « surprotectrice » ou « trop affectueuse »... Toutes ces « effroyables conséquences sociétales » ne sont pas étayées par des preuves – je ne dis pas que ce n'est pas possible d'en apporter, mais si ça l'est, alors le travail reste à faire, et il aurait été intéressant que le film tente de le faire, quitte à passer moins de temps à détailler chacun des éléments absurdes de la théorie sexuelle des psychanalystes interrogés.
Si le film montre bien à quel point certains psychanalystes peuvent avoir des conceptions ou des pratiques dévastatrices, il ne permet donc pas de cerner l'ampleur du problème. Je doute que les personnes qui apprécient leur psychanalyste ou qui ont un regard bienveillant sur la psychanalyse en général voient dans ce film davantage que la dénonciation des propos de quelques praticiens dont rien ne démontre qu'ils sont représentatifs. Le dessin animé risque quant à lui de braquer les pro-psychanalyse plus qu'autre chose, du fait de sa prétention à la généralité non soutenue par la moindre enquête statistique et de l'aspect caricatural du personnage de la psychanalyste, animée par les traits de caractère les plus détestables qu'on puisse concevoir.
Ces limites n'empêchent pas que le film a le mérite de dénoncer certaines pratiques de psychanalyse aux effets délétères sur les patients. On peut raisonnablement penser que si les psychanalystes ne sont pas tous aussi dingues que ceux qui ont été interrogés, il y en a probablement bien d'autres qui pourraient débiter les mêmes conceptions, étant donné qu'elles ne sont pas tirées du chapeau, mais largement inspirées des écrits de Freud et de Lacan, qui seraient encore très cités dans le milieu. Une étudiante dans le public a d'ailleurs souligné qu'elle avait passé un semestre à l'université Paris Diderot, à suivre un cours entièrement consacré à un ouvrage de Freud sur l'hystérie. D'après elle, l'enseignant refusait toute critique contre ses théories, et une trop grande insistance à vouloir critiquer Freud pouvait entraîner l'exclusion du cours ! Un tel dogmatisme ne peut qu'interroger, à plus forte raison si la place accordée à la psychanalyse à l'université est vraiment une exception française (et argentine).
Interrogée à la fin, Sophie Robert donne comme conseil aux patients de ne jamais se faire aider par un/une « psychologue » ou « psychiatre » sans avoir bien vérifié d'abord qu'il/elle excluait clairement de s'appuyer sur la psychanalyse. Dans le débat, une ou deux personnes ont en outre mis en cause la capacité de la plupart des psychiatres en France à actualiser leurs connaissances à partir des recherches les plus récentes. Deux associations ont été évoquées avec une présentation positive (pour trouver de vrais professionnels) : l'association française de thérapie comportementale et cognitive (AFTCC : https://www.aftcc.org/) et l'association pour la psychologie scientifique à l'université (APSU : https://psychologiescientifique.org/), qui revendiquent un souci de la rigueur (zététique). Ces associations s'appuieraient avec sérieux sur l'évolution des connaissances scientifiques pour construire des thérapies vraiment utiles aux patients.
Entre les passages du film (certes parcellaire et engagé) qui montrent les méfaits possibles de la psychanalyse et la démarche des associations citées, je dois bien reconnaître que, en tant que profane du sujet, mon choix serait vite vu si je devais chercher quelqu'un pour une thérapie : j'éviterais les psychanalystes et irais chercher du côté des partisans d'une psychologie scientifique. Une question importante reste à trancher : faut-il que la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) s'attelle à ce que tous les psychologues et psychiatres qui ont recours à la psychanalyse « soient exclus des sphères d’influence (UFR de psychologie, facultés de médecine, tribunaux) » ? Et comment expliquer qu'elle n'ait pas déjà commencé à le faire ?
Le film est convaincant au moins sur une chose : la nécessité d'évaluer l'ampleur des dégâts, et d'en tirer les conséquences, quitte à assumer la confrontation avec la communauté psychanalytique.