Le Phallus et le Néant
6.6
Le Phallus et le Néant

Documentaire de Sophie Robert (2019)




"J'espère que ça va faire trace."







J'ai eu la chance toute relative de découvrir ce métrage lors d'une séance de ciné-conférence-débat en présence de Sophie Robert, la réalisatrice. Sa présentation de son œuvre donne le ton : elle a été alarmée par des psychanalystes quidams et autres travailleurs sociaux sur le fait que les grandes pontes du mouvement psychanalytique français faisaient n’importe quoi, racontaient n’importe quoi et surtout causaient de nombreux dégâts. Aussi aurait-elle pris le parti d’interviewer de ces grandes figures contemporaines pour comprendre l’essence de la psychanalyse actuelle ; et de s’offusquer puisque chacun des quelques 52 psychanalystes interviewés répétaient chaque fois les mêmes préceptes « sectaires », « rétrogrades » ou autres… (elle n’a gardé évidemment qu’une poignée de ses interviews ici, on ne lui demandera pas ses critères de choix)
Le tout motivé par une ambition exprimée en fin de présentation et avant de projeter son bébé : « j’espère que ça va faire trace »





« J’ai subi des pressions judiciaires puisqu’on m’a rétorqué que mon
montage ne reflétait pas suffisamment la pensée des accusant, dont
certains passages coupées auraient modérés les propos. »







Le film commence de manière édifiante en un petit aperçu des interviews qui vont suivre. Moments et répliques croustillantes qui ne manquent pas de faire réagir la salle et d’en accrocher l’attention pour les deux heures à venir. Le montage semble déjà très dirigé mais Hé ! il ne s’agit que de cours extraits, la suite devrait nous montrer des parties plus étoffées pour mieux les comprendre !
Que nenni ! Sophie robert se plaît à monter les répliques chocs de ses interviews, uniquement entrecoupées de moments de gênes où les psychanalystes ne savent que répondre face à une avalanche de questions très insistantes et dirigées, d’extraits de texte choisis avec autant de soin ainsi que de courtes séquences d’animations racontant à priori sa propre expérience analytique. Le tout est forcément choquant mais tout est fait pour et rien n’est laissé au hasard pour cela. Où est notre liberté de penser quand la réalisatrice en fait tant non pour montrer mais pour convaincre ?
Où est l’honnêteté, oserais-je avancer, quand la consigne même donnée aux interviewés est un véritable pousse-au-vice : « Qu’est-ce qui fait le cœur de votre métier, en assumant le côté politiquement incorrect ? ». Je n’invente pas, ce sont là les propos de la réalisatrice pour mettre en contexte ses rencontres. Mais une telle consigne ne prête-t-elle justement pas à ces excès dont elle se montre si friande ensuite ? Regardez donc, ces gens disent des énormités (après que je leur ai demandé de le faire…) !
Du reste le peu que nous pouvons véritablement apprécier de ces interviews donnent à voir une « journaliste » enragée, assénant les questions avec hargne jusqu’à obtenir les paroles souhaitées.
Ha c’est qu’on ne peut certainement pas dire que Sophie Robert manque d’intelligence ni de cœur à son ouvrage : elle le répète dans son documentaire, elle a lu une énorme quantité de bouquins issus du mouvement décrié. Dans le but de comprendre sans doute que non ; dans le but de mettre le doigt sur les éléments les plus interrogeant/inquiétant ou encore qui prêtent le plus à débat au sein même de la psychanalyse, ça… !
Il ne lui reste donc plus ensuite qu’à rencontrer quelques noms choisis pour donner du pedigree à son travail et de pousser ces derniers dans leurs derniers retranchements théoriques pour obtenir son Saint Graal : ces formules dont elle pourra se servir contre ces professionnels eux-mêmes et malgré eux. Formules qui la plupart ne veulent cependant rien dire en dehors de leur contexte théorique, lequel mérite un certain éclairage pour en appréhender les concepts. Mais c’est vrai qu’en l’état il reste de belles phrases chocs très utiles pour le travail de Mme Robert.





« Ce n’est pas la question ici »





Du reste, le thème choisi n’est-il pas lui-même des plus propices ? « Le phallus et le néant », comprenez ici « l’homme et la femme » du fait de l’assimilation du sexe de la femme à un trou, du vide dans les concepts psychanalytiques. L’homme et la femme, donc, leurs positionnements vis-à-vis de la sexualité.


Il faut bien reconnaître que les concepts psychanalytiques ont de quoi choquer sur ce point. Ils choquaient déjà à leurs époques. Imaginez-donc si Freud émergeait aujourd’hui pour tenir ses propos séculaires en face de tous nos mouvements pour l’égalité des femmes, le féminisme, l’homosexualité, le transgenre et j’en passe…!
Bien sûr que ses propos sont datés. Bien sûr que la psychanalyse s’inscrit dans une société et une époque. Bien sûr qu’elle doit en cela s’adapter.
Mais le documentaire de Mme Robert ne commence-t-il pas justement en disant qu’il s’agit d’un mouvement vivant, en mouvement ? Pourquoi donc ensuite tant s’appuyer sur ces propos datés alors que notre contexte contemporain remet largement en question les sexes, genres et autres ?
Un quidam lui a formulé une question sur cette remise en contexte des propos entendus vis-à-vis de notre époque « qui féminise aussi le masculin » (selon ses termes)
-Ce n’est pas la question ici. Cet avis n'engage que vous.


Ha non effectivement, ici il n’est pas question de parler de fond théorique sur lequel proposer un véritable débat intéressant et par là comprendre le pourquoi de tant de propos décontextualisés. Nous ne sommes ici que pour abattre la psychanalyse en usant d’autant de slogans et phrases chocs possibles. Merci de ne pas trop réfléchir et d’adhérer. On vous dit que les psychanalystes disent ça, enfin !
Bon. On les pousse, on leur demande d’en rajouter, mais quand même ! Ils le disent ! Offusquez-vous avec nous bon Dieu !


Tous ces concepts sont une base riche pour comprendre le monde, pour le réfléchir tout du moins. Ils sont forcément datés de leurs époques où machisme, sexisme et patriarcat étaient la norme mais c’est aux professionnels de réfléchir ces outils dans notre époque contemporaine pour en faire quelque chose d’efficient dans leurs pratiques. Il ne faut pas oublier que derrière les outils il y a des hommes et des femmes tout autant ancrés dans leur propre présent. Et s’il est évident que la théorie se remet difficilement en cause du fait de ses nombreux détracteurs, ses nombreuses Ecoles et leurs nombreux conflits, il semble malveillant de dire qu’aucun auteur n’essaie véritablement d’apporter ses pierres à l’édifice, de créer de nouveaux concepts plus modernes aussi. Qu’aucun ne soit parvenu à faire consensus et marquer notre époque, ça, c’est un autre problème.





« Il n’y en a pas un pour défendre son psychanalyste ? »







Sophie Robert indique que les interviewés ne se sont pas faits prier pour partir dans leurs extrémités théoriques, qu’ils l’ont fait avec gourmandise. Je ne saurais user d’un autre terme vis-à-vis d’elle-même lorsqu’elle porte ses coups contre la psychanalyse. « La psychanalyse, c’est ça ! » assure-t-elle avec un sourire triomphant. « On a des preuves » continue-t-elle.
Forte de ses citations décontextualisées et de témoignages de patients étant tombés sur des professionnels douteux, Sophie Robert achève son monologue (débat, pardon) pour faire de ces expériences une généralité (n’est-ce pas ce que l’on reproche souvent à la psychanalyse, d’ailleurs ?). « La psychanalyse c’est ça », prenant en exemple ces victimes n’ayant eu aucun soutien lors de leur rencontre avec des psychanalystes. « Un psychanalyste ça n’écoute pas » assure-t-elle encore puisque son expérience lui a montré des analystes étouffer la parole du patient derrière leurs théories. « Il va forcément affirmer le contraire de ce que vous allez lui dire ! »


Non.


Bien sûr que de nombreux exemples sont sidérants mais « dépasser cette sidération » comme elle nous invite à le faire ne doit pas vouloir dire accepter et affirmer que toutes les pratiques se résument à ces exemples, fort heureusement.
J’en ai pris des notes, durant cet échange et je peux dire que j’ai effectivement été sidéré de certains faits et certaines citations dont j’ai appris l’existence et dont il me tarde de me renseigner pour mieux en comprendre les enjeux et contours. J’ai été très choqué de ces témoignages de victimes pour lesquelles l’écoute thérapeutique semble véritablement avoir été absente.
« Sidération » est un bon mot. Permettez-moi cependant de ne pas suivre le chemin tracé par Sophie Robert quant à son dépassement. L’écoute me semble avoir toujours été des plus importantes dans le processus analytique. Que certains ne s’y prêtent pas me semble honteux et choquant dans de tels contextes. Il est effectivement impossible de défendre tout ce qui est vu ici, mais de la même manière un professeur d’EPS doit-il se défendre si l’un de ses confrères se révélait avoir eu des gestes déplacés envers un élève ? Toutes les professions ont leurs brebis galeuses.
Faire de ces exemples immondes une généralité en affirmant « ça, c’est la psychanalyse » me semble aussi dogmatique que ce que la réalisatrice veut montrer de ces pontes psychanalytiques. Et quand elle se met à expliquer la mainmise de ceux-là sur la Société, ayant dans leurs fauteuils les grands messieurs de la France, elle me semble s’adonner davantage aux théories complotistes (qui pourraient faire baver les adeptes de théories sionistes, reptiliennes ou autre). Quand on a ses méthodes d’interview et de montage, il ne faut pas s’étonner que certains puissent s’être sentis manipulés et avoir fait appel à la justice. Il serait ainsi de bon ton de savoir se remettre soi-même en question, malgré la haine palpable que l’on porte à une Ecole de penser. Du reste, n'avait-elle pas affirmé avoir été alarmée par des psychanalystes eux-même critiques des possibles dérives ? Est-ce qu'elle met malgré tout ceux-là dans le même panier ?

Jonathan_TJo
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le 30 janv. 2019

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Jonathan TJo

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