L’antispécisme. Impossible de ne plus en entendre parler aujourd’hui. J’ai moi même plusieurs amis qui deviennent « vegans » et se réclament de ce mouvement, devenu un leitmotiv pour eux, un principe fondamental de leur hygiène de vie.
Alors antispeciste, ça veut dire quoi ? ça vient d’où ? C’est dans ce contexte que je découvre le livre d’Aymeric Caron, antispéciste convaincu se voulant convainquant, qui nous livre là tous les fondements de la pensée antispéciste sur un plateau. Parfait, j’aurai les bases pour mieux comprendre mes proches si convaincus de prendre le bon chemin.
L’antispéciste comme une évolution
L’auteur, qui s’autoproclame autant philosophe qu’antispéciste (mais nous verrons qu’il pourra se donner d’autres qualificatifs), ne manque pas de donner à réfléchir sur les questions de société liées à la consommation de la viande. Je mentirais si je disais n’avoir pas trouvé en grande partie ce que je recherchais dans ce livre : A.Caron fait l’inventaire de tout ce à quoi peut toucher nos régimes alimentaires et montre les avantages de son régime de protecteur des animaux.
Je le dis, oui, dans l’ensemble les arguments évoqués m’ont étés convainquants et je me montrerais hypocrite si j’affirmais que je ne garde pas mon régime actuel que par un certain égoïsme. Je pense même, après lecture du philosophe en herbe (elle était facile, je sais), que l’antispécisme et le régime végétarien peuvent effectivement représenter une prochaine étape dans notre évolution : les mœurs vont s’y tourner de plus en plus, le monde va de plus en plus considérer le cas des animaux « non-humains » et la fin de la consommation de la viande n’est peut-être qu’une question de quelques décennies, voire un peu plus. J’en suis intimement persuadé, tout comme j’imagine que nous parviendrons à l’élaboration de recettes à base de plantes qui renoueront pleinement avec les plaisirs gustatifs (ouais, parce que quand on me dit que les protéines des lentilles sont une parfaite alternative et que les lentilles c’est très bon, de plus, j’ai quand même les yeux qui se dirigent vers mon plafond).
Et on va peut-être commencer là à toucher du doigt ce qui ne va vraiment pas dans ce bouquin : l’impression qu’on veut nous forcer la main plus que nous accompagner. Oui les arguments de l’auteur sont bons dans leur majorité, mais non, ils ne le sont pas tous et surtout A.Caron fait souvent preuve tant d’un ton mauvais envers ceux qu’ils prend de haut que d’un manque de cohérence envers lui-même, un manque de constance aussi dans ses propres arguments et dans sa ligne de pensée.
Des chiffres et des lettres
Pourtant Aymeric Caron s’est donné du mal et il n’est pas sans étaler l’essentiel de sa recherche bibliographique au rythme de ses pages. Sa pensée n’est pas tombée d’un arbre, elle est le fruit d’une réflexion déjà entamée par de nombreux penseurs avant lui, autant de noms dont il ne manque pas de se servir pour donner toujours plus de crédits à ses propos ; il sait aussi faire preuve d’un regard critique envers ses références. Mais surtout, A.Caron s’appuie sur de nombreux évènements plus ou moins récents, des scandales de l’agroalimentaire, mais aussi de nombreuses données chiffrées. Tout ce qui précède fera l’essentiel de la recette de son pavé : des porte-voix, des faits choquants à agiter sous notre nez et des preuves chiffrées. A priori de quoi construire quelque chose de résistant aux éventuelles critiques, cependant l’auteur va aussi trop souvent se montrer malhonnête, retournant sa veste selon tel ou tel sujet afin de toujours en tirer profit ou affirmant d'immondes généralisations sans aucun égard pour une certaine éthique de pensée. Je vais citer quelques exemples ci-après :
Le premier sera de voir Caron citer les chiffres quant à l’élevage en plein air des vaches en France : des chiffres dont le drapeau Bleu Blanc Rouge n’a pas à rougir, ce que notre philosophe reconnaît…. sauf que ça l’embête dans la démarche de son bouquin : Comment nous convaincre de la malfaisance de l’Etat français quant aux non-humains si on en dit du bien ? Qu’à cela ne tienne ! un vague « mais les élevages à l’Américaine se développent en France » et il peut enchaîner sur les arguments qu’il avait à mettre en avant. C’est que la France est mauvaise, il y tient et il ne cessera dailleurs d’écrire que nous sommes en retard sur tout et que nous devrions avoir honte ! Et l’élevage est tout autant mauvais, point. Pas de contre argumentation possible, monsieur a dit.
Les zoos et cirques ne sont pas en reste : A.Caron cite UN scandale qu’il y a eu dans UN zoo pour nous montrer combien LES zoos sont mauvais : dans le zoo en question ils se sont débarrassés d'un girafon nouveau né parce que c’était un mâle et ont affirmé que c’était préférable ainsi plutôt que de ne le castrer, « C’est dire combien les animaux sont considérés dans LES zoos ! »
Faire d’un cas particulier une généralité, n’est-ce pas un abus de logique ? N’y-a-t-il pas là matière à discuter ?
Je ne suis moi-même pas toujours fan du concept des zoos, que je pense surtout vestige d’un temps où l’on ne pouvait que très difficilement montrer les animaux sauvages à nos petites têtes blondes autrement. Que beaucoup d’animaux y soufrent est un fait, que les animaux devraient vivre en liberté en est un autre… mais que les zoos permettent la survie de certaines espèces à l’heure actuelle en est encore un et dire que tous les zoos sont des monstres de négligences et de considération envers les bêtes – surtout en se basant sur un voire quelques cas - me paraît surtout un raccourci des plus ignobles.
L’exemple est d’actualité : dire que tous les musulmans sont des terroristes à causes des extrémistes et des attentats récents n’est pas acceptable ? quoi ? Un religieux n'est pas représentatif de tous les membres de sa religion ? Affirmer que tous les zoos sont mauvais à partir d'un exemple d'abus part de la même logique, et de la part de quelqu’un qui n’hésite pas à pointer du doigt les philosophes/spécialistes/intellectuels de plateaux télé pour leurs abus cela m’amuse quand même pas mal.
LA télé me permet la transition suivante : A.Caron, dans son salon, regarde un émission sur l’élevage. Il n’aime pas ça, Aymeric Caron, car dans cette émission on affirme que les éleveurs sont gentils et aiment leurs bêtes (quels menteurs !), mais il regarde quand même : ça fera bien un chapitre dans son prochain bouquin.
Je n’accuserai pas la critique générale de notre auteur sur l’émission, qu’il dépeint comme un bonbon trop sucrée, un truc mignonnet où tout est tout beau tout doux. Je m’attarderai cela dit sur ce passage qu’il retient : une bête tombe dans un fossé et son éleveur de la secourir. LA voix off de l’émission souligne combien le geste est motivée chez l’éleveur par son amour pour l’animal… SON AMOUR ?! Incompréhensible pour Caron, un éleveur est incapable d’aimer. Un éleveur est un assassin meurtrier buveur de sang. S’il a sauvé le non-humain, c’est uniquement parce qu’il représente de l’argent pour lui, évidemment !
Mais qu’en sait-il ? Installé dans un fauteuil synthétique à manger des lentilles devant sa télé ? Pour lui, l’élevage ce sont uniquement des machines où les animaux sont enfermés. C’est tout ce qu’il voit dans ses documentaires et les petits éleveurs respectueux n’existent pas.
Savez-vous comment on fait la laine ? Bah on maltraite le mouton, Pardi ! Il l’a vu à la télé ! Les animaux sont malmenés par des incapables, parfois coupés, toujours brusqués ! Jamais aimés ! des animaux pourtant si tendres ! (pas dans la bouche, hein) Ha ! c'est que notre grand penseur aime bien user de ses généralisations à outrance !
De toute façon, tout n’est qu’une histoire de grands lobbies (oui il fallait bien saupoudrer d’un peu de conspirationnisme pour alimenter le coté spectaculaire…
A.Caron, qui chante les louanges d’une philosophie antispéciste en terme d’évolution, d’avancée mais aussi d’ouverture d'esprit, se complaît ainsi tout au long de son bouquin dans des raccourcis de pensées qu’il nourrit d’autant de préjugés affreux et irréfléchis. Il n’applique en rien à lui-même les valeurs qu’il veut inculquer à son lecteur pour en faire un végétarien accompli. Le plus important c’est que son message passe, tant pis s’il le fait en s’entachant dans son parcours et tant pis s’il frise la diffamation. C’est dit.
L’antispéciste comme superman.. ou Jesus ?
J’ai été surpris de lire monsieur Caron affirmer que la pensée spéciste était fondamentalement une pensée…religieuse. Il le fait par un nouvel abus de logique que je résume :
si l’homme consomme la viande, s’il assume que faire du mal à un animal n’est pas grave si c’est pour son bien propre, c’est qu’il se croit doté d’un destin ou une place particulière le lui permettant. Une telle pensée ne peut que sous-tendre que le carniste croit à une théorie créationniste puisque pour avoir un destin particulier il faut bien que quelqu’un ou quelque chose en ait décidé ainsi… ET PAF ! le carniste croit en DIEU ! … et l’antispéciste est un meilleur athée, puisque le carniste est donc un religieux qui s’ignore !
Cette réflexion, hors sujet, me parut néanmoins très intéressante pour ce qu’elle peut venir montrer de notre société. Placé sous le règne de la science (ou du scientisme, mais je ne vais pas m’étendre trop), notre société bat en brèche tout ce qui a trait au religieux, comme un reliquat honteux de notre passée : faire la guerre pour des croyances basées sur l’imaginaire, quelle bêtise !
La religion n’est plus vue que comme cela et l’on prend les radicaux en exemple de ce qu’est un religieux plutôt que ceux qui ont fait preuve d’une grande humanité. L’Abbé Pierre ? Doit-il avoir honte d’avoir tant fait au nom de ses croyances ?
Au-delà de cela, il y a aussi ces personnes qui ont besoin de réponses, qui recherchent quelque chose que le monde ne sait lui apporter. La religion les apaise en leur donnant des réponses. Des réponses fausses, on a le droit de le croire, mais si ceux-là sont apaisés par ces réponses, de quel droit nous permettons-nous de battre en brèche leurs croyances qui nous font si mal au cœur ?
C’est que, tout ce qui ne va pas dans le sens de notre science tend à la contredire… et on se doit bien de veiller à ne pas trop mettre à l’épreuve ce qui fait la base de notre vie aujourd’hui. Je dois faire un dessin pour montrer que la science est devenue la religion de l’homme moderne ?
En quoi celui qui s’en prend à un autre au nom de sa science vaut-il mieux que celui qui le fait au nom de sa religion ? Parce que lui détient la vérité, la vraie, pardi ! (Ce que ne manquera pas d’affirmer aussi son opposant.) L'idée même d'un "meilleur athée" parce que l'autre "croirait sans s'en rendre compte" ne répond-il pas de ce raisonnement affreux ?
Ne mangez pas de steak, ça augmente les risques cardio-vasculaires et c’est prouvé ! Ne fumez plus : ça augmente les risques de cancer et c’est prouvé ! Les vaccins causent l’autisme ! Et puis non ! Et si vous dormez autant d’heure c’est bon pour vous mais si vous dépassez ce seuil cela deviendra mauvais et bla bla bla…
Bref, il est de mauvais ton d’être religieux (certaines critiques de Batman V Superman ne le montrent pas moins ; elles donnent l’impression que les spectateurs ont cru que Znyder voulait les convertir) il est de bon ton d’être un parfait suiveur de chiffres et A.Caron pourrait bien être un meilleur défenseur de cette façon de pensée que de la philosophie vegan elle-même avec certains de ses propos.
Religieux, dans le texte de Caron, c’est une insulte. Athée, c’est un éloge. Je n’irai pas plus loin pour montrer combien je préfère un bon religieux (qui ne fait de mal à personne et fait preuve d’ouverture d’esprit) à un mauvais athée (qui raille tout ce qui attaque sa science et se montre plus fermé qu’un djihadiste).
J’aimerais simplement m’amuser quant à analyser encore le texte du philosophe en herbe - lequel dit tantôt que l’homme est égal à l’animal, tantôt qu’il ne l’est pas en fonction de ce qui l’arrange – lequel surtout accordera « une part de divin » à l’homme à la page 417 de son ouvrage. Il le fait au gré d’un plaidoyer pour la responsabilité de l’homme en tant qu’être supérieur aux autres animaux, lequel doit donc les protéger et les aider à s’accomplir. Il dépeint d’ailleurs dans les pages environnantes ce qui ferait pour lui un monde parfait où l’homme saurait respecter la nature (par exemple en castrant les animaux qui pulluleraient trop, en tant que c’est à lui, supérieur, de décider s’ils peuvent se reproduire ou non pour leur propre bien). Tout un passage où le spécisme renié du bougre ne manque donc pas de refaire surface (certains animaux sont bons à garder près de nous, mais les autres on les vire et on limite certaines proliférations selon notre bon vouloir) mais aussi où il montre combien il accorde un destin particulier à l’être humain (qui doit maîtriser la nature, quitte à s’en extirper, et pour son propre bien)… donc qu’il croit en DIEU ?
L’antispécisme pourrait-il être un religieux qui ne se sait pas en ce sens qu’il se croit si supérieur aux animaux que son empathie ne doit plus lui permettre de faire partie de la chaîne alimentaire ?
Après tout, « l’antispéciste est comme superman » et superman est un homme qui descend du ciel.
Il faut croire que le "meilleur athé" ne l'est pas forcément autant qu'il veut bien le croire ou le mettre en avant...
AMEN
Conclusion
Je n’ai pas aimé le bouquin de monsieur Caron, en atteste ma note. Si le fond est bon, il faut savoir le défaire d’une incommensurable couche de boue. Avec des airs supérieurs, des réflexions faciles et des raccourcis négligents, l’auteur donne l’impression d’écrire sa bible et de vouloir prêcher sa bonne parole coûte que coûte. Il fait certes un inventaire complet de tout ce qui peut toucher à sa philosophie mais y répond tant et toujours avec les mêmes arguments qu’il ennuie rapidement, d’autant qu’une pensée critique ne sera pas sans à interroger lesdits arguments.
Au final, A.Caron fait preuve de tout ce qu’il dénonce comme défauts chez les autres et son antispécisme ne le rend pas moins humain (ou plus, je ne sais plus ce qu’il veut tant il m’a perdu à retourner sa veste) qu’un autre, ne lui en déplaise. J’aurai apprécié qu’il s’attarde moins sur des exemples de polémiques faciles ou encore sur ses abus de logique à répétition pour essayer de convertir, mais qu’il sache au contraire faire preuve d’humilité et simplement expliquer sa pensée sans à dénigrer l’autre lâchement. Qu'il nous accompagne plus simplement dans sa pensée et qu'il nous juge moins.
Il reste que son bouquin n’aura pas été sans m’apporter quelques réponses ou sujets de réflexions pertinents. Je note aussi toutes ces références à foison qui ne demanderont qu’à nourrir davantage une pensée en construction. Pour cela, merci. Pour le reste, quel gâchis de papier.