Billy Wilder, c’est une longue et belle carrière pleine de chefs d’oeuvre très connus, qui se sont inscrits dans le panthéon du septième art. Mais, comme tout réalisateur, ce sont aussi des films moins connus. Et qui dit célébrité moindre, ne dit pas qualité inférieure, comme on peut le constater avec Le Poison.


Billy Wilder était un cinéaste qui aimait faire des comédies, qu’elles soient légères et musicales, comme La valse de l’empereur, ou plus mémorables et satiriques, comme Certains l’aiment chaud et La Garçonnière. Mais c’est peut-être dans sa face plus sombre que je le préfère, là où le cinéaste s’avère plus radical, percutant et puissant, comme il l’est avec Le Poison. Ici, nous faisons la connaissance de Don, un homme sans histoires, s’il n’avait pas eu des problèmes d’alcool auparavant, et si la menace de l’addiction et de la récidive ne le mettaient pas en danger. Le réalisateur aborde le problème de manière frontale, contraignant son personnage à être aux prises avec la tentation de la boisson, au risque de fragiliser les liens avec ses proches. L’exposition de l’addiction et des problèmes qu’elle engendre est l’une des premières qualités du film, car elle n’est pas dénonciatrice, mais explicative.


Le Poison part des raisons de l’alcoolisme pour aller jusqu’à ses conséquences, exposant la souffrance du héros, que ses proches cherchent à guérir, et que la société critique, préférant les commérages à la compréhension. Une compréhension dont peut faire preuve le spectateur, qui saisit toute la difficulté rencontrée par le héros dans cette lutte contre l’addiction, et qui comprend également en quoi l’alcool a pu être pour lui une manière d’échapper aux épreuves de la vie. Mais ce refuge finit par se transformer en un piège mortel. Et Le Poison bénéficie d’une écriture et d’une mise en scène grandement maîtrisées, permettant au spectateur de voir l’enfer vécu par Don, de véritablement visualiser cette inéluctable descente aux Enfers.


En termes d’écriture, Le Poison présente cette capacité à créer de l’empathie pour un personnage antipathique, une autre grande qualité chez Wilder, que l’on retrouve par exemple dans Le Gouffre aux Chimères. Bien sûr, Don n’est pas antipathique de nature, sa colère et son égoïsme étant largement exacerbés par les effets dévastateurs de l’alcool. Et ce n’est pas juste le jeu du brillant Ray Milland qui permet de s’en rendre compte. Wilder multiplie les effets de mise en scène pour souligner la présence et les effets de l’alcool. Par exemple, quand Don cherche une bouteille qu’il avait cachée dans un lustre, ce dernier apparaît en arrière-plan alors que Ray Milland est filmé en contre-plongée, soulignant la présence de l’alcool, même s’il n’est pas en sa possession. Ce sont aussi des séquences presque oniriques dans l’asile, avec ces jeux de lumière où l’ombre du grillage se projette sur le visage de Don, représentant son emprisonnement vis-à-vis de la boisson. Enfin, c’est aussi une séquence très évocatrice, avec une souris et une chauve-souris, l’image de la dualité, de la confrontation entre deux parties de sa conscience, il est la petite bête qui veut toujours s’échapper mais se fait aussitôt dévorer par la grosse. Autant d’éléments qui témoignent d’une vraie volonté de rendre les images éloquentes.


Si les premiers films de Billy Wilder étaient plus qu’encourageants, qu’il s’agisse du premier essai Mauvaise graine ou, plus précisément, d’Uniformes et Jupon court et Les Cinq Secrets du désert, Le Poison est probablement l’un de ses premiers vrais coups d’éclat, juste avant Assurance sur la mort, considéré comme un de ses chefs d’oeuvre. On y décèle tout le talent de Wilder dans l’écriture et la mise en scène, cette capacité à mettre en lumière la dualité des individus, d’intégrer des éléments de satire sociale, et, surtout, un acteur principal, ici Ray Milland, qui livre une de ses plus grandes prestations. Sans en dire davantage, la fin est probablement le principal défaut de ce film, l’empêchant de flirter allègrement avec la perfection, mais Wilder nous met ici une belle claque.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 16 juin 2019

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