Comment ? Comment pourrais-je écrire une critique de ce film en gardant la tête froide alors qu'il est associé dans mon esprit à une flopée de souvenirs qui n'ont pas de prix ? Car plus que du cinéma, « La Communauté de l'Anneau » c'est avant tout une tranche de ma vie. Fan du livre qui venait tout juste de ressortir en Folio (nous sommes en 2000), je me souviens de la joie ressentie à l'idée que cette incroyable histoire allait être adaptée sur grand écran. J'étais ado, et je découvrais la fantasy avec son plus illustre représentant. Je me souviens être allé le voir deux fois au cinéma (ce que je ne fais jamais), avec un pote, puis avec la famille. Je me souviens des discussions endiablées sur l'univers de Tolkien à l'école, avec des copains aussi fanas que moi. Puis la sortie du DVD, version courte, puis version longue, toutes les deux achetées bien sûr. Et toutes ces scènes repassées en boucle, les dialogues appris par coeur, sans même faire d'effort, qui me permettaient de participer à des duels de citations avec les potes... Cette putain d'immersion comme seule la prime jeunesse peut nous l'apporter... Alors oui, j'ai mis 10 à ce film et je préviens d'ors et déjà tout le monde qu'une palanquée de contestations à l'ampleur biblique ne pourrait pas me faire changer d'avis.

Ce n'est pas de l'aveuglement stupide: je SAIS que ce film n'est pas parfait. Mais je suis sincèrement et profondément persuadé que, en ce début de XXIè siècle, il n'était guère possible de faire plus fidèle, plus épique, plus touchant, en un mot, mieux que ce que Peter Jackson et son équipe nous ont proposé. Trois films ! Ce réalisateur quasi-inconnu est parvenu à faire TROIS films avec un roman si casse-gueule qu'aucune ponte hollywoodienne ne voulait l'approcher à moins de cent mètres. On lui en a proposé un. Jackson a refusé, s'est accroché à son idéal. Et ça a payé. Comment retranscrire autant d’événements sinon dans une trilogie flirtant avec les neuf heures de métrage ? Et encore, en version courte...

Peter est un alchimiste. Il a été capable de transmuter sa Nouvelle-Zélande natale en une Terre du Milieu plus réelle que quiconque aurait pu jamais le fantasmer, une invitation perpétuelle au voyage, une orgie visuelle parsemée de montagnes altières, de forêts nimbées d'onirisme, de fleuves impétueux, de plaines interminables où les héros ne peuvent que courir sans fin à l'appel de leur destin. Mais la nature ne suffit bien sûr pas à donner vie à un univers aussi foisonnant. Il faut une exigence du détail qui dépasse les impératifs commerciaux. Combien de réalisateurs auraient fait pousser les jardins de Hobbitbourg une année avant le début du tournage pour davantage de réalisme ? Combien auraient travailler avec autant de gigantesques maquettes pour donner une matérialité à des cités qu'il aurait été si facile de créer numériquement ? Et tous ces décors peints à la main jusque dans leurs plus infimes recoins, y compris ceux qui ne devaient pas être filmés, juste par intégrité artistique ? De la folie. Du génie !

Ainsi, la Terre du Milieu de Jackson respire, aussi naturelle qu'il était possible de la présenter (bien plus que dans sa nouvelle trilogie du Hobbit...), n'arborant qu'un léger maquillage d'effets spéciaux au vu de la norme de l'époque. Et quels effets ! On pouvait craindre le pire avec une équipe néo-zélandaise elle aussi inconnue... et le résultat s'est avéré à la hauteur, voire a su dépasser les plus grands. A quelques incrustations près, le résultat est toujours aussi éblouissant aujourd'hui et prouve qu'il n'y a pas que l'animation image par image des années 60 qui peut avoir une âme.

Je parle beaucoup technique, mais l'histoire ? Evidemment, nous ne sommes pas devant une adaptation mot-à-mot. Des situations et des personnages ont du sauter, particulièrement au début qui, rappelons-le, a découragé dans le roman une frange impressionnante de lecteurs qui ne pouvaient pas supporter de voir s'éterniser la ballade des Hobbits en forêt. Jackson et ses scénaristes ont du concentrer l'intrigue et, forcément, on perd une foultitude de détails qui participent de plein droit à l'immersion du roman. Pourtant, en l'état, maints spectateurs ont déjà trouvé l'introduction de ce film trop longue... Vous croyez vraiment qu'il aurait fallu plus de dialogues ? Davantage de moments calmes ? Le film soutient déjà un rythme parfait, cent fois plus élaboré que l'immense majorité du cinéma de divertissement moderne. Le spectateur n'est pas noyé sous les moments épiques, renforçant d'autant plus leur impact. A ce titre, le passage des Mines de la Moria et le combat final contre les Uruk-hai me foutent encore des frissons d'extase aujourd'hui. Cette tension avant l'apparition du Balrog, cette atmosphère lourde et noire qui finit par exploser au pont de Kazad-dûm, le combat désespéré de Boromir pour racheter son honneur... Pas de doute, nous entrons dans le légendaire, dans la geste mythologique, un moment de grâce cinématographique qui dépasse le simple amusement pour entrer dans l'essence même de l'archétype jungien. Merde, j'avais dit que je garderais la tête froide !

Entre ces deux gargantuesque morceaux, la narration prend tout son temps pour présenter ses lieux, ses enjeux, ses personnages. Quelques-un ont malheureusement été réduits à leur plus simple expression (Gimli et Legolas, notamment... quel gâchis !). Mais la sagesse pleine de bonhomie qui cache le lourd labeur de Gandalf, les efforts d'Aragorn pour dissimuler la grandeur qui l'effraie, l'incompréhension de Boromir qui ne demande que le moyen de sauver son peuple et qui se le voit refuser, l'abnégation de Sam... Une galerie d'acteurs souvent parfaits pour incarner des rôles beaucoup plus subtils que ce qu'un certain dédain élitiste voudrait nous faire croire ! Et la révélation de Viggo Mortensen comme l'un des plus brillants acteurs de sa génération à qui l'on n'a pourtant jamais offert sa chance avant ou après ce film... quelle incompréhension ! Sans en faire des tonnes, il EST Aragorn. Dépourvu des tics de l'Actor Studio, il traverse la saga avec un mélange de puissance, de tranquillité et d'humilité que je n'ai jamais retrouvé chez aucun autre acteur.

Même Elijah Wood, trop jeune normalement pour incarner Frodon, s'est finalement imposé comme le choix idéal du Hobbit souffrant. Trop souffrant d'ailleurs, le film en faisant un martyr beaucoup trop rapidement et gâchant ainsi quelque peu son évolution psychologique dans les films suivants. Sans compter que Jackson en a fait une espèce de lopette incapable de se défendre, ce qui est loin de rendre justice au personnage. Heureusement, un regard brisé à la sortie de la Moria, accompagné d'une sublime musique d'Howard Shore et l'on se rend compte que le jeune acteur est largement capable de s'investir émotionnellement dans son rôle. Alors cessez de vous foutre de lui, merci !

Terminons d'ailleurs avec les musiques: tantôt agitée de puissantes vagues chorales, tantôt teintée de fragilité, la bande-son raconte en parallèle du film tout ce sous-continent narratif qui n'a pu être transposé à l'image. Elle est une épopée à elle seule, lourde de plusieurs millénaires de combats mais proposant de larges envolées célestes, presque fantasmatiques, qui donnent toute leur saveur de conte à certains passages comme le bref dialogue amoureux d'Aragorn et d'Arwen a Fondcombe (lumière et ambiance incroyables durant cette scène !) ou l'arrivé de la Communauté à la Lorien (lumière, ambiance bis).

A mi chemin entre l'éther du rêve et la terre sanglante des épopées de jadis, le « Seigneur des Anneaux », et tout spécialement ce premier opus, reste pour moi l'empereur d'un genre qui n'est jamais vraiment pris au sérieux au cinéma. Rien que pour avoir rappelé au monde entier qu'on pouvait parler d'amour et de mort, de lâcheté et de sacrifice, bref, que l'on pouvait et devait aborder des thèmes millénaires dans la fantasy, je ne porterai jamais un culte assez fort à cette épopée de l'Anneau.

PS: à voir dans sa version longue pour les chansons, pour les cadeaux de Galadriel, pour les larmes d'Aragorn...

Ma critique de la saga:

"Un Voyage Inattendu": http://www.senscritique.com/film/Le_Hobbit_Un_Voyage_inattendu/critique/10224236

"La Désolation de Smaug": http://www.senscritique.com/film/Le_Hobbit_La_Desolation_de_Smaug/critique/18255259

"Les Deux Tours": http://www.senscritique.com/film/Le_Seigneur_des_Anneaux_Les_Deux_Tours/critique/3963173

"Le Retour du Roi": http://www.senscritique.com/film/Le_Seigneur_des_Anneaux_Le_Retour_du_roi/critique/4032392
Amrit
10
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le 28 sept. 2013

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