Voilà un projet qui ne payait pas de mine : Wim Wenders retraçant la vie d’un illustre photographe, Sebastião Salgado.
A quelques exceptions près, le documentaire se limite à un témoignage face caméra du sujet, en alternance avec ses clichés. Quelques ruptures permettent de le voir échanger avec Wenders lui-même, ou dans son domaine brésilien, ainsi qu’en séance de photo parmi les morses.
Si Wenders opte pour une forme aussi limitée, c’est sans doute pour proclamer sa foi en la puissance évocatoire des clichés en question. Dès le départ, il explique le choc que fut la découverte de ce photographe : car Wenders prend lui aussi la parole, en français comme Salgado, tous deux caractérisés par un accent aussi solide que séduisant.
Et force est de constater que ces photos sont sublimes : noir et blanc, d’une brillance incroyable, travaillant un noir comme seul Soulages sait le faire en peinture. Longuement exposées, racontées par la voix off de leur créateur, elles révèlent tout leur pouvoir de fascination.
Car le second intérêt, hormis celui de la valeur esthétique qui a elle justifie déjà qu’on s’intéresser à Salgado, réside dans le parcours qu’il restitue : reporter, le photographe a arpenté la planète pour un état des lieux éprouvant : des mines d’or à la famine du Sahel dans les années 80, du Rwanda à la Bosnie en passant par le Koweit, son travail est un constat implacable sur les horreurs générées par la fin du XXème siècle.
Se dessine alors une nouvelle piste, celle de la crise du regard. Salgado, à qui on a notamment reproché d’esthétiser sur la misère humaine, ne peut plus couvrir les mêmes sujets, fatigués et écœuré de ce que l’actualité vomit. L’héritage de la ferme parentale au Brésil le fait changer d’activité, et replanter une forêt disparue, thérapie qui va lui permettre de se réconcilier avec le monde par l’entremise de ce que la nature a à offrir à l’écart des hommes. Cette morale, application fidèle du fameux « Il faut cultiver son jardin » qui clôt Candide de Voltaire, pourrait être vue comme un élément supplémentaire à l’hagiographie d’un photographe par un cinéaste. Il n’en est rien : c’est bien de la gestation et de l’innutrition d’une œuvre qu’il s’agit, car l’acte concret de l’homme, planter des arbres, va lui permettre de retrouver l’élan nécessaire pour capturer à nouveau le monde : dans ces liens entre vie artistique et individuelle, désespoir idéologique et enthousiasme esthétique, se joue le portait universel de l’artiste.