--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au premier épisode de la sixième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/The_Invisibles/2413896
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---
Octobre est revenu. Les nuits se font plus longues et plus profondes. Le vent plus froid et plus lugubre. Des dents s'allongent, des griffes s'aiguisent. Des froissements d'ailes sinistres commencent à déchirer certains silences. Des grognements, des yeux jaunes ou rouges transperçant l'obscurité. Le peuple des ombres s'éveille.
Moi pas. Ma retraite forcée m'a apporté le réconfort que j'avais cessé de chercher. Ma vie est presque redevenue simple. Je chasse seule, donc bien ; aucun chiot ridicule ne tente de me défier ; aucun louveteau chétif ne me quémande ni conseils ni nourriture. Je garde un œil discret sur mon ancienne meute, et furtif sur le clan vampirique, pour m'assurer qu'aucune animosité ne menace plus Paris d'une apocalyptique guerre des ombres. Je ne suis pas seule pour autant. Lycaon vient me visiter parfois, quand ce n'est pas moi qui vais à lui, et j'ai même fait, un couple de fois dans l'année, le voyage jusqu'à l'île reculée de Wulver, pêcher et courir dans les plaines désolées avec lui. A toute saison l'air est bon et le paysage paisible, dans mon sanctuaire de vie tranquille. Hier célébrité parmi le peuple de la nuit, aujourd'hui, invisible parmi les invisibles.
Un très léger problème cependant, semble germer au milieu de cette nature qui fane : je m’ennuierai presque. A quoi bon l'éternité si ce n'est pour une vie trépidante ? Me voilà donc de nouveau sur les routes pelliculées, à la recherche d'un nouvel ami, ou plutôt d'un alter-égo : l'Homme invisible.
Une fois n'est pas coutume, mon périple commence par m'emmener loin dans le passé, à l'époque où le cinéma ne faisait encore que babiller. Il est d'ailleurs assez surprenant que le premier film de cette année soit le plus ancien qu'ai jamais connu le mois-monstre, toutes éditions confondues. Car Dracula et le loup-garou n'auraient pas eu besoin de beaucoup plus pour exister à l'écran que d'une paire de fausses dents pointues, un acteur particulièrement grand et fin -ou velu et trapu- et d'un abonnement à la bibliothèque. Pourtant, ceux-ci ont trainé à daigner montrer de l'intérêt envers ce nouveau support, et même quand ils y sont venus, cela n'a été qu'à grand renforts d'effets spéciaux inutilement laids et ratés. A l'opposé, l'homme invisible est un effet spécial à lui tout seul. N'étant rien de lui-même, il réclame des artifices simplement pour exister. Moi qui passe tous les ans de longues lignes à m'épancher sur des effets spéciaux mal faits, ce premier film, sans m'en donner lui-même, me laisse m'inquiéter sévèrement pour la suite. Car tous les films n'ont pas le génial Segundo de Chomón pour réalisateur. Truquiste incontesté, formidable illusionniste, maitre du trompe l’œil, de Chomón est peut-être un peu moins connu que papy Méliès, mais il n'en est pas moins un pilier dans les arts (presque confondus aux origines) des effets spéciaux et de l'animation. Et s'il est curieux que le plus vieux monstre que j'ai croisé au cinéma soit notre ami invisible, il n'est par contre pas saugrenu du tout que celui-ci ai été pris pour cible par le réalisateur. L'homme invisible, c'est un mobile parfait, un prétexte génial, pour expérimenter toutes sortes de farces cinématographiques, pour faire danser un pantalon sans propriétaire, ou faire voler une tasse de café. Le scénario est donc vite expédié, pour laisser la place à un magicien qui s'amuse avec une caméra. Trouvant la formule d'une potion d'invisibilité dans le livre de Wells (ingénieuse mise en abyme, ou paresse scénaristique ?), notre premier polisson à peau transparente de l'histoire du cinéma ne devient que plus créatif à mesure que son pouvoir grandit ; métaphore attendrissante du réalisateur, s'amourachant de plus en plus de ce nouveau support de création, au fil des découvertes de ses infinies possibilités de remodeler la réalité. Et bien qu'à travers mes yeux d'enfant grandie, qui ne croit plus au père Noël depuis bien longtemps, la magie opère tout de même, et me laisse émerveillée, tantôt de reconnaître une utilisation habile d'un trucage bien connu (ma chère stop-motion par exemple), tantôt laissée pantoise d'admiration, ne sachant trop identifié le procédé utilisé, me répétant « nom d'un petit bonhomme, mais nous ne sommes qu'en 1909 parbleu ! ». Du reste, le langage cinématographique est presque aussi bien maitrisé que l'art du trucage. La grammaire du montage est impeccable, à défaut d'être poétique, et bien que la fin parte un peu en baston désordonnée, traduisant peut-être un enthousiasme un peu trop débordant de la part de de Chomón de montrer tout ce dont il est capable, l'histoire, simple certes, est tenue de bout en bout. Quel dommage que ce bijou n'ai point encore eu le droit à sa restauration, car la lisibilité de l'action se noie quelquefois dans les affres d'une mauvaise conservation qui fait peine à voir...