De la riche et vibrante carrière de Paul Newman, Le plus sauvage d’entre tous est sans doute son meilleur film : parce qu’il correspond parfaitement au registre dans lequel il a toujours su exceller, tout en osant le pousser dans ses derniers retranchements.


Western contemporain, le film plus sobrement éponyme dans sa version originale et éminemment plus pertinent que ce programme racoleur de la VF, ressemble assez étrangement à la structure de La chatte sur un toit brûlant, l’épouse en moins : un rapport conflictuel au père, un protagoniste désabusé et cynique, un trauma passé sous silence, la question de l’héritage et de la transmission et l’impossibilité de se parler à cœur ouvert autrement que par des invectives contaminent en effet l’ensemble de l’intrigue. Mais, à l’inverse de l’adaptation de Tennessee Williams, les silences savent trouver leur place et la volonté de démonstration se trouve ici décapée par un pessimisme autrement plus radical.


La structure même du ranch et la situation familiale sont d’emblée minées par des béances insurmontables : trois générations masculines, le grand-père veuf, son fils célibataire, Hud, et son neveu orphelin composent une phallocratie clairement lacunaire ; et, quelque direction que prennent les rapports humains, des impasses au centre desquelles se trouve Hud, Newman au plus toxique de sa forme. Du passé, il dévoile quelques dégâts ; du présent, il souille à peu près tout, tandis qu’il entreprend aussi de pervertir le futur de son neveu en l’initiant à l’alcool et aux bagarres de bar.


Le spectateur n’a pas vraiment besoin d’être guidé pour mesurer les abysses de ce dragueur invétéré, lâchant son fiel sur ceux qui, de temps à autre, lui apportent pourtant du baume au cœur. Les échanges, soutenus par des comédiens tous exceptionnels, trouvent dans doute leur point d’orgue par le couple improbable qu’il voudrait former avec Alma, seule présence féminine en la personne d’une bonne (Patricia Neal, exceptionnelle), divorcée et indépendante, lui tenant tête avec lucidité.


Visuellement, la fluidité des mouvements et la manière de disposer les silhouettes, sur un palier ou dans une chambre au moment le plus dramatique, attestent d’une finesse on ne peut plus pertinente pour accompagner sans jamais grossir le trait l’âpreté des échanges ou la mécanique tragique des situations.


Comme pour souligner l’infection des cœurs, le ranch se voit sous la menace d’une contamination des vaches, mises en quarantaine dans l’attente d’un verdict qui pourra signifier la banqueroute de l’entreprise familiale.


Le chemin que prend le récit est celui de la table rase, d’autant plus prenante qu’on n’en voit jamais les coutures. Pas de misérabilisme, nulle hyperbole, mais un constat désabusé sur la nature humaine.


Dans cette cellule déjà branlante, les individus s’effondrent un à un, sauf celui dont on ne pouvait souhaiter que le départ.
La scène du massacre du troupeau, absolument terrible, a occasionné chez votre serviteur, qui l’eût cru, de la compassion pour des vaches, preuve s’il en est de la force émotionnelle de ce film. Entre règlements de compte et tentative de viol, adieu au monde d’un homme qui chérissait sa terre et veut laisser quelque chose dont il pourrait être fier, tout se délite. Ne reste qu’un homme, emprisonné dans son acrimonie, et la rédemption éventuellement possible par le représentant de la dernière génération, qui fait cette découverte fondamentale : apprendre de lui, c’est se situer à l’opposé de tout ce qu’il peut dire ou faire.


Le silence final, ce geste de la main désabusé et cette porte qui se ferme sont d’une audace exceptionnelle pour un film de cette époque, et doté d’une telle star à sa tête.


Hud est un chef d’œuvre, un joyau noir qui sait comme peu d’autres se faire l’écrin de cette assertion pourtant évidente :
Happens to everybody. Horses, dogs, men. Nobody gets out of life alive.

Sergent_Pepper
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le 27 avr. 2017

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Sergent_Pepper

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