Après The Verdict de Sidney Lumet et Marqué par la haine de Robert Wise, mon cycle Paul Newman se poursuit avec Hud – et son titre français un tantinet racoleur Le plus sauvage d’entre tous - de Martin Ritt. Coinçons tout de suite l’anecdote qu’il est l’un des films préféré de Jeff Nichols : le réalisateur en optant pour le titre de Mud, sur les rives du Mississippi, lui donnera son petit hommage, tout du moins un clin d’œil, en réutilisant par la même occasion le thème du conflit entre un fils et son père.


Qualifié de western mélancolique, Le plus sauvage d'entre tous revêt à l'aune de sa date de sortie l'apparence d'une oeuvre assez visionnaire en anticipant de presque dix ans le virage entrepris par le genre, avec le western dit crépusculaire (Sam Peckinpah, Clint Eastwood et consorts). L'aspect contemporain du film semble à ce propos sans équivoque : les Cadillac côtoient les chevaux, bien loin fût le temps des diligences et des affrontements colons/tribus indiennes. Ce tournant du Western s'opère avec la mutation de la société américaine se manifestant notamment par une remise en question des valeurs familiales et du sens de la propriété terrienne, deux pans analysés dans le film de Martin Ritt. Ce dernier dresse ainsi le portait social de l'Amérique des sixties, fresque bien plus assidue qu'elle n'y parait, où la jeunesse déferle telle une épidémie de fièvre au sein d'un cheptel. En ce sens, on se met à croire que l'arrivée de Hud et la contamination du troupeau de son père présentent une corrélation. Cette famille texane est constituée du grand-père éleveur et propriétaire du ranch (Melvyn Douglas, Oscar du meilleur second rôle masculin) et de son fils intrépide de retour au nid (Hud / Paul Newman). Scindés par le conflit de deux générations et autant d'idéaux, le petit-fils de l'éleveur et neveu de Hud, et la gouvernante (Patricia Neal, Oscar de la meilleure actrice), sont à la fois membres du foyer et arbitres, tiraillés entre les deux figures antagonistes. Véritable germe venu gangrener les fondations paisibles de la ferme, Hud le sanguin, l'impulsif, la bête humaine reniée par son père, porté à l'écran par un Paul Newman parfait, dans un rôle ambigu de salaud attachant. Il incarne en somme une jeunesse égocentrique et indocile, prête à léguer les parcelles de terre à des compagnies pétrolières et à abandonner les valeurs qui jusque-là prédominaient. Le noir et blanc apporte une sobriété qui souligne les contrastes et sublime les plans (Oscar de la meilleure photographie catégorie noir et blanc). La qualité d'interprétation de Newman parait indiscutable, une projection vivante de la violence de l'écorché vif à la manière de ses rôles dans Cat on a Hot Tin Roof (La Chatte sur un toit brûlant) ou Marqué par la Haine. In fine, le grand-père passera, malgré lui, le flambeau, et emmènera dans son sillage les derniers principes étasuniens de l'autorité patriarcale, du rapport à la terre, du métier d'éleveur - humilité envolée. La gouvernante partira, et avec elle, c'est l'émancipation des femmes et leur indépendance vis-à-vis des contraintes familiales dont il s'agit. Le petit-fils s'en ira, lui aussi, peut être s'engagera t-il dans l'armée et se battra au Vietnam quelques années plus tard. Ou peut être deviendra t-il un hippie pacifiste, qui sait. Reste Hud, seul, il a obtenu ce qu'il voulait : le ranch familial. Il vendra certainement son âme au diable et son terrain gorgé d'hydrocarbures au plus offrant. L'Amérique d'antan s'en est allé, fusillée comme ces pauvres vaches par une fougue d'aspirations nouvelles, et ensevelie par les mentalités et mœurs récemment accouchés.

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le 15 mars 2016

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Palatina

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