Der Himmel über Berlin. Le Ciel au-dessus de Berlin. Le titre original des Ailes du Désir prend tout son sens dès les premières scènes du film. Nos deux anges observent la ville, et nous avec eux, volant au-dessus des immeubles et des rues, observant les passants, nous introduisant dans les appartements sans être remarqués, et surtout entendant les pensées des différents personnages, de tous ces habitants qui constituent la ville.
En cela, on peut dire sans se tromper que Les Ailes du Désir est avant tout un film sur Berlin. Chez un cinéaste voyageur comme Wenders, le choix d'un lieu pour un film n'est pas seulement le fait d'une recherche esthétique ou d'un caprice scénaristique. Berlin n'est pas uniquement un cadre pour le film. Il en est le personnage principal. Pendant toute une première partie du film, nous allons voyager d'un appartement à l'autre, passer d'un Berlinois à un autre, grâce à une caméra d'une virtuosité extraordinaire (ce qui valut au film un Prix de la mise en scène au festival de Cannes 1987). C'est tout un kaléidoscope qui va se mettre en place sous nos yeux : Berlin en ce jour précis, vu du ciel par le regard d'anges omniscients pouvant s'infiltrer dans les âmes des Berlinois.
Mais le film ne s'occupe pas que du Berlin actuel. C'est sûrement en cela que le choix de la ville fut essentiel : Berlin est aussi un lieu chargé d'histoire et de références culturelles. Au début du film, dans l'avion qui l'emporte dans la grande ville allemande, Peter Falk pense à « Emil Jannings, Kennedy et von Stauffenberg » (le premier était un acteur ayant tourné dans certains films classiques du cinéma allemand des années 20 ; le président Kennedy avait fait son fameux discours « Ich bin ein Berliner » à Berlin le 26 juin 1963 ; et Carl von Stauffenberg était l'officier allemand qui a cherché à assassiner Hitler lors de l'opération Walkyrie). Berlin est un lieu de mémoire, dont le nom reste associé au Nazisme bien sûr, mais aussi à la Guerre Froide. Plusieurs scènes du films ont tournées juste au bord du Mur qui, à l'époque du tournage (1986), séparait encore les secteurs occidentaux et soviétique, dont une séquence capitale, centrale dans l'histoire des Ailes du Désir : le passage du statut d'ange à celui d'humain.
Le Nazisme et la Seconde Guerre Mondiale viennent, quant à eux, par la mémoire d'un Homère moderne, homme immémorial chantant la destruction de Berlin comme l'aède antique avait chanté celle de Troie.
Enfin, sur le plan culturel, le cinéaste cinéphile qu'est Wenders ne pouvait pas omettre de rendre hommage à l'expressionnisme des années 20, dont il adopte bien souvent l'esthétique et ce, dès le générique de début.
Ainsi donc, si Les Ailes du Désir reste constamment dans la même ville (ce qui n'est pas si fréquent pour un cinéaste chez qui le voyage tient une place essentielle), c'est donc dans le temps que le film nous transporte. Au Fil du temps, pour reprendre le titre d'un autre film majeur de Wenders.
Et que font ces anges au-dessus de Berlin ?
Ils observent la vie. Une vie que, finalement, ils ne connaissent quasiment pas. Eux qui voient le monde en noir et blanc ne connaissent pas les sensations qui viennent du corps. Ils peuvent certes entendre les pensées et sonder les âmes, mais ils sont incapables de sentir ou toucher. « j'aimerais ne plus seulement survoler, j'aimerais avoir un poids qui abolisse l'illimité et m'attache à la terre », dit Damiel (Bruno Ganz). C'est, pour reprendre le titre du roman de Milan Kundera, une « insoutenable légèreté » qui anime cet ange qui veut devenir humain. Car il comprend qu'en ne voyant que son aspect spirituel, il manque quelque chose d'essentiel à sa compréhension de la vie : l'aspect charnel, sensible, voire sensuel.
Car Les Ailes du Désir, c'est également un formidable film sur la sensualité. L'incroyable sensualité de Solveig Dommartin, trapéziste aérienne, femme qui devient temporairement un ange pour aller à la rencontre de l'ange qui veut devenir humain. Le film se déroule alors dans cet entre-deux, le long de cette frontière entre la terre et le ciel. Wenders en profite pour nous livrer des séquences absolument sublimes.
Les Ailes du Désir marque la troisième collaboration entre le cinéaste et l'écrivain Peter Handke, après L'Angoisse du Gardien de But au moment du penalty (que Handke avait écrit d'après son propre roman) et Faux Mouvement. Ne pouvant écrire tout le scénario avec Wenders, le romancier a écrit des dialogues et surtout un magnifique poème qui sert de fil rouge au film, « Als das Kind Kind war » (« Quand l'enfant était enfant... »). Pour le reste, Wenders a beaucoup fait appel à l'improvisation (procédé que Peter Falk avait déjà beaucoup pratiqué sous al direction de son ami Cassavetes).
L'ensemble donne un très beau film, poétique, sensible, contemplatif (comme souvent chez Wenders), qui cherche à concilier le ciel et la terre, le corps et l'âme, la légèreté et la pesanteur dans un équilibre parfait. Avec ce film léger et aérien, Wenders ne se contente pas de filmer des anges, il se fait ange.