Attention, chef-d'oeuvre !
Attention, danger !
Parce que "Les ailes du désir" est un spectacle anti-spectaculaire au possible, pour approcher cette vérité inconfortable : vivre en le sachant. On sort au bout de 10 mn ou au terme des 2 heures de projection et sous le coup d'une troublante remise en question. C'est peu dire, surtout à qui ne veut pas avoir à penser devant un écran, que l'effort d'attention et de réflexion demandé est total. Mais cela en vaut la peine. Ce film a, oui, une touche de génie - Prix de la Mise en scène à Cannes - comme illustration du lien sacré entre l'humain et le spirituel.
Auteur idolâtré pour sa hauteur de vue sur les choses de la vie, Wenders renoue avec le ciel de Berlin pour laisser planer sur la foule qui s'y agite des regards d'anges. Visages sereins impassibles, vêtus de pardessus, ces voyageurs de l'invisible sans provenance ni destination aiment se tenir perchés sur les sites les plus élevés, flèches de cathédrales, obélisques... De temps en temps, ils côtoient de très près les humains et écoutent - télépathie - leurs pensées. Elles sont, pour la plupart, révélatrices de leur difficulté à exister, à communiquer entre eux. Ayant peu à voir avec les anges gardiens chers aux Catholiques, ces témoins impalpables réconfortent parfois mais n'enrayent jamais les destinées en marche.
Images noir et blanc avec juste de brefs inserts en couleur, voix off... Avec une sobriété chaplinesque, Wenders cerne par petites touches impressionnistes le tourment intérieur de l'Homme face à toutes ses incertitudes. Et s'il y a tant de fluidité dans les mouvements de caméra, c'est sans doute parce que le film doit trouver un écho en "eaux profondes" au niveau du vécu intime. Nostalgie de l'enfance, quête du bonheur... On ne sort pas tout à fait le même de la vision d'un tel film.
Wenders se voulant plus optimiste que par le passé, il mise à fond sur la dimension poétique de son art. C'est l'histoire d'amour entre un ange (Bruno Ganz, magnétique) et une jeune femme (Solveig Dommartin, lumineuse) qui veut voler de ses propres ailes via sa vocation : trapéziste de cirque. Ebloui par elle et poussé par un ex-ange devenu acteur (Peter Falk dans son propre rôle), l'ange va aller jusqu'à lui sacrifier son immortalité. Le film renvoie si superbement aux notions clés d'innocence et de pureté que l'intrigue n'apparaît jamais farfelue.
On peut recevoir et interpréter de mille façons le message délivré dans "Les ailes du désir". Un film si riche, si complexe, qu'il suppose en fait plusieurs visions. Mais c'est là une question... d'envie !