Unité de temps : la nuit de la Saint-Sylvestre, dans une ville indéterminée...
Unité de lieu : un bureau anonyme dans un commissariat qui ne l'est pas moins...
Unité d'action : un interrogatoire qui n'en finit pas de durer...
Cette extrême rigueur dans la mise en scène, qui fait d'emblée penser aux pièces de théâtre classique, est celle volontairement utilisée par Claude Miller pour "Garde à vue", presque entièrement tourné en studios. L'auteur de déjà 2 films marquants ("La meilleure façon de marcher" et "Dîtes lui que je l'aime") a vu juste en choisissant la formule du huis-clos pour mieux cerner le bras de fer psychologique qui met deux hommes face à face. D'un côté, un inspecteur pointilleux et têtu (Lino Ventura, subtilement monolithique). De l'autre, un notable (Michel Serrault), convoqué dans le cadre de l'enquête sur une affaire sordide. En l'espace de huit jours, deux fillettes ont été tuées et violées.
Le suspense policier réside à fond dans le fait que le notable - notaire - est montré sous deux angles opposés. A priori, c'est comme témoin qu'il est entendu. Mais au fil des questions, de ses réponses, évasives, condescendantes, peu convaincantes, il en arrive peu à peu à faire figure de suspect n°1. Durant près d'une heure, selon qu'il se révolte, clame son innocence, ou au contraire qu'il s'effondre, s'embrouille dans ses explications, on est fermement convaincu qu'il est bien l'assassin... pour être persuadé du contraire 5 minutes plus tard !
Coupable ? Innocent ? La fine, déphasante partition d'acteur de Michel Serrault - un de ses rôles phares, incontestablement - n'est pas étrangère à ces sentiments de spectateur contradictoires.
Et comme lui non plus ne sait pas trop comment jauger ce "client", le flic utilise son joker : la fameuse garde à vue, soit 48 heures maximum pour obtenir des aveux.
Dans l'univers froid et restreint du bureau, les heures tournent, l'interrogatoire reste au point mort, avec des signes évidents : le climat s'électrise de plus en plus, "les nerfs à vif". D'ailleurs, le notaire subit de la part du flic greffier (impeccable Guy Marchand) une sorte de passage à tabac, s'avérant fumeux !
Avec l'arrivée de sa femme (Romy Schneider, sublimement fantomatique), le film bascule dans un regain d'intérêt, de tension. Le mot couple ne veut plus rien dire pour ces deux-là. Les propos qu'elle tient ne font qu'accabler ce mari notaire. Ce dernier en prend acte, en pleine figure, rien qu'au regard de ce flic qui ne lui laisse aucun répit. Il "craque", comme on dit en jargon policier...
En filigrane de l'évolution de l'intrigue, on comprend que la garde à vue est aux yeux de Claude Miller une méthode contestable. Que ce n'est pas parce qu'un individu avoue qu'il est forcément coupable. Et pour bien montrer que la marge entre l'erreur judiciaire et l'inculpation légitime est très mince, il y a ce coup de théâtre final...
Film intense, film à rebondissements, film de dialogues, film d'acteurs pas factices et complices, film d'auteur, "Garde à vue" est bien plus qu'un simple polar.
Et Claude Miller devenait avec brio un metteur en scène à surveiller !