La débâcle de la ville en état de siège qui ouvre la première partie du film semble tristement prophétique quant à la destinée de ce film qui sera l’un des grands échecs de Gilliam : trop cher, trop ambitieux, trop mégalomane, il multiplie les liens d’affects entre le réalisateur et son personnage, baron fantasque privilégiant l’imaginaire sur la raison, la fiction sur le réel.
Alors que ces valeurs étaient dans Brazil, son précédent film, au service d’une dystopie effrayante ou des rêves immatures de son fragile protagoniste, Gilliam s’engouffre ici tête baissée dans la littérature d’aventure, convoquant toutes les figures mythologiques (Vulcain et Venus), bibliques (Jonas et la Baleine) ou littéraires (orientalisme des harems, personnages truculents et rabelaisiens, grotesque lunaire digne des écrits de Cyrano de Bergerac) pour un grand œuvre ancestral et atemporel.
Sorti en 1988, le film est aujourd’hui presque équivalent à ce qu’était Méliès à l’époque, et vers lequel les hommages sont d’ailleurs nombreux. Alors que l’image numérique n’existe pas encore, c’est le règne du bricolage, du carton-pâte, et des maquettes, des décors peints et du latex. Assumée, l’esthétique est en raccord avec la mise en place du récit sur une scène de théâtre qui reproduit dans un premier temps les aventures du Baron, et fait contre mauvaise fortune bon cœur.
Le résultat est visuellement souvent ébouriffant : on retiendra particulièrement l’apparition d’Uma Thurman en Venus de Botticelli et sa danse en lévitation, ou l’accostage sur la lune où l’océan se transforme en sable noir.
Sur le plan du récit, force est de constater que certaines séquences patinent un peu, et que l’humour conjugal entre Vulcain et sa femme ou le couple royal de la Lune n’est pas toujours du meilleur effet, lourdingue et plombé par des répétitions dispensables, tout comme les blagues potache de bien des personnages secondaires. Le rythme manque d’efficacité et on sent bien par moments l’incapacité du réalisateur à couper trop dans toute la riche matière qu’il a eu tant de mal à filmer. Mais la sincérité l’emporte la plupart du temps, et cette apologie du récit qui finit par sauver les auditeurs est touchante de la part d’un des grands artisans, savant fou du septième art qui a depuis (qu’on pense à Zero Theorem) à peu près tout perdu : la crédibilité, l’imaginaire et peut-être le talent, en tout cas les illusions.