"Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes." (Saint Paul, 1 Co 1:27)

Depuis un an que son père (Chris Potter) a disparu, Meg Murray (Katie Stuart) a perdu goût à la vie. Elle ne tient que grâce à son petit frère Charles Wallace (David Dorfman), un petit garçon doué de télépathie, et extrêmement intelligent. Le jour où une mystérieuse femme venue de l’espace (Alfre Woodard) débarque chez eux et vient les inviter à la suivre loin dans l’espace et dans le temps pour sauver leur père, prisonnier d’une entité maléfique à l’autre bout de l’univers, Meg et Charles Wallace n’hésitent pas un instant, et foncent tête baissée dans l’aventure. Mais ce qu’ils vont découvrir va bien au-delà de leur imagination et de la réalité. Et comment résister quand on se trouve face à ce qu’on ne connaît pas ?


A l’heure où Disney sort une nouvelle version du roman de Madeleine L’Engle Un Raccourci dans le temps, cette fois destinée au grand écran, cela fait du bien de se replonger dans la première version que les studios en tirèrent, sous forme de téléfilm. Prévu originellement pour être une mini-série de 4 heures (publicités comprises) destinée à l'émission The Wonderful World of Disney, Les Aventuriers des mondes fantastiques, de John Kent Harrison, a été réduit à un format de 3 heures pour la télévision américaine, soit un peu plus de 2 heures si on enlève le temps réservé aux publicités. Pourtant, les coupures effectuées l’ont été de manière extrêmement intelligente, puisque, hormis un ou deux légers flous dans le montage, jamais on ne se rend compte qu’il y a eu des amputations, et le téléfilm tient parfaitement debout. Il s’avère en revanche d’une telle densité narrative et psychologique qu’on n’a aucun mal à imaginer qu’il était prévu pour durer dans les 4 heures.
Christopher Nolan ne s’en est jamais caché, le roman de Madeleine L’Engle a toujours été une de ses grandes inspirations, il ira même jusqu’à le glisser dans la bibliothèque de Murphy Cooper dans Interstellar. Cela se sent, tant on retrouve dans le récit des thèmes qui lui sont chers : un univers composé de multiples dimensions, l’introduction de la notion de tesseract, l’importance capitale de l’amour familial, le Mal représenté comme une illusion tentatrice perverse face à laquelle on a envie de cesser de lutter… De nombreux thèmes parfaitement traités dans le film de John Kent Harrison, et qui donnent à ce dernier toute la profondeur qui fait cruellement défaut dans la version d’Ana DuVernay.
Il faut dire que, malgré quelques effets visuels désuets (un voyage à dos de créature magique assez éprouvant, à cause d’images de synthèses tout-à-fait dépassées), Les Aventuriers des mondes fantastiques se laisse voir avec une fascination jamais démentie, grâce à l’intelligence de son écriture. Parfaitement mis en image par la belle photographie de Jon Joffin et Philip Linzey, merveilleusement traduit dans les décors pleins d’originalité de Terry Ewasiuk et Johanna Mazur et la somptueuse musique de Jeff Danna, le scénario de Susan Shilliday s’avère tout aussi cohérent que subtil et profond. En effet, passée une première moitié de film qui évoque les heures kitsch et sympathiques du Magicien d’Oz avec un soupçon de la magie du Monde de Narnia (encore à venir), le scénario nous transporte sur Camazotz, la planète que le Mal a choisi pour y établir son Quartier Général, et à partir de ce moment-là, le téléfilm de John Kent Harrison devient un véritable sans-faute. Basculant dans une atmosphère sombre et poisseuse toute droit sortie d’un Dark City ou d’un Matrix (et égalant sans problèmes ses modèles, pour ne pas dire qu'il les dépasse), Les Aventuriers des mondes fantastiques prend le risque de se couper de son jeune public, qu’il effrayera sans doute, pour adopter un ton étonnamment mature pour une production censée viser les enfants. En tant qu’adulte, on ne peut que s’en réjouir, surtout quand on compare avec la vision de Camazotz que nous proposera Ava DuVernay quinze ans plus tard. Là où on se promène sur une planète trop propre et pas assez menaçante, avec laquelle les héros n’avaient presque aucune interaction dans Un Raccourci dans le temps, John Kent Harrison choisit de nous plonger sans ambages sur une planète où le danger est omniprésent, où l’on n’oserait jamais dire le moindre mot aux gens qui nous entourent, où tout est visiblement créé pour servir le Ça, sorte de Big Brother maléfique qui impose une terrible dictature à son peuple.
Ainsi, là où les péripéties de la version 2018 apparaissent artificielles et souvent incompréhensibles (que signifient la ville et la plage où se retrouvent nos héros ?), la version 2003 leur donnent tout leur sens. A l’instar des grandes œuvres de science-fiction de 1984 à Brazil, Les Aventuriers des mondes fantastiques est une parabole sur le libre-arbitre. Parabole peut-être pas toujours de la plus grande subtilité (le discours final de Meg aux gens de Camazotz) mais d’une efficacité constante, dans laquelle on trouve à chaque coin de réplique de quoi nous faire réfléchir pendant des heures.
Par exemple, la représentation du Mal est sans nul doute une des meilleures qu’il m’ait été donné de voir à l’écran, anticipant brillamment celle que l’on pourra trouver dans les épisodes finaux d’Harry Potter. Incarné par l’excellent Kyle Secor, aussi drôle qu’effrayant, l’homme aux yeux rouges, agent de Ça, trouve un rôle à sa mesure, bien loin des 5 pathétiques minutes d’apparition de Michael Peña dans la version 2018. Beau parleur, il incarne à merveille la tentation perverse et séductrice du Mal, cette tentation insidieuse qui, loin de nous forcer à faire des choses que l’on regrettera plus tard, nous pousse à les faire volontairement, comme l’illustre l’attraction malsaine dont est victime Charles Wallace, incarné par le génial David Dorfman (que l’on a tous vu dans la version américaine de The Ring). Ainsi, dans la lignée du Jonathan Pryce de La Foire aux ténèbres, Kyle Secor campe sans aucun doute ici l’un des méchants les plus glaçants et fascinants que Disney nous ait jamais offert.
Sans jamais basculer dans le prêchi-prêcha illuminé et insupportable comme les Américains savent tant le faire, et dont le film d’Ana DuVernay n’est malheureusement pas dénué, Les Aventuriers des mondes fantastiques se donne donc les moyens de porter de vraies leçons sur l’acceptation de soi et de ses défauts, sur la vraie nature du Mal et sur la valeur de l’amour familial, sans jamais basculer dans la mièvrerie. La plus belle leçon, biblique s’il en est, étant résumé dans la citation de Saint Paul que j’ai mise en titre de cette critique, et qui est citée par Mme Qui dans le film. Véritable cœur du récit, c’est ce qui permet de placer le film dans la lignée des grandes œuvres de fantasy, du Seigneur des Anneaux à Harry Potter, en passant par Narnia.
C’est ce qui en fait bien plus qu’un simple divertissement, mais bel et bien un film extrêmement profond et dense, dont le seul bémol est d’avoir quelque peu vieilli au niveau visuel (comme le fera à n’en pas douter le film d’Ana DuVernay). Pour le reste, Les Aventuriers des mondes fantastiques nous propose un scénario et des personnages parfaitement écrits, qui trouvent leur accomplissement dans des leçons d’une intelligence qui fait du bien. Une grande œuvre de science-fiction, qui mériterait une bien plus ample reconnaissance aujourd’hui.

Tonto
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le 10 mars 2018

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