« Madame », c’est sa grand-mère, Caroline. La grand-mère paternelle du scénariste et réalisateur suisse Stéphane Riethauser, qui plonge dans ses archives personnelles et familiales pour en extraire ce double portrait croisé : lui et cette grand-mère à la vie si pleine et si forte. La voix de la dame apparaît en premier, par le biais de l’un des nombreux messages sur répondeur précieusement conservés. Une voix profonde, grave, mélodieuse, à la résonance de contre-alto et à la diction lente et clairement posée. Par contraste, la voix de celui qui tient la caméra semble par moments plus aigüe, plus féminine, plus serpentine. « Nous formons un couple parfait », déclare-t-il.


L’un des grands paris, réussis, de ce documentaire autobiographique, réside dans cet entrecroisement de deux histoires, à travers lesquelles surgissent deux personnalités : cette dame maintenant âgée, issue de la grande bourgeoisie helvète, et qui, entre inscription dans une lignée et ruptures, a su mener sa barque avec succès, en passant par deux mariages et en dirigeant successivement une entreprise de gaines féminines, un magasin d’antiquités puis un grand restaurant. Si le réalisateur retrace son propre parcours, étudiant puis professionnel, qui l’a conduit du droit au cinéma, mais avec un amour constant pour la pellicule, c’est essentiellement son cheminement intime qu’il lui importe de restituer, et notamment son accès à l’homosexualité.


À cette fin, aucune démarche épistémologique, cherchant à remonter aux causes de ce qui serait présenté comme une anomalie, une singularité qui aurait pu ne pas advenir. Sur ce point, Stéphane Riethauser adopte le point de vue de sa grand-mère : « Tu es né comme cela ! Tu es comme Jean Marais, Cocteau... ». En nouant très subtilement différents supports (films super 8, enregistrements audio, extraits d’actualités ou d’émissions, photos, images de son journal intime, films familiaux ou déjà scénarisés tournés par son père, Luc...), il retrace de façon très émouvante son enfance heureuse, souvent dans la grande propriété luxueuse de sa grand-mère, « Terre sauvage », sur la Côte d’Azur. S’y manifeste très tôt son goût pour le travestissement : devenir, par l’habit et le déplacement de la voix, une petite « Madame »... Puis la traversée plus mouvementée de l’adolescence et de l’accession à l’âge adulte : le refus de sa propre féminité, les tentatives acharnées pour se positionner comme « un homme, un vrai », s’inscrivant dans le programme familial et héréditaire, sous le regard constant de sa grand-mère, aussi présente qu’injonctive. La phase d’éloignement et de tension lorsque l’homosexualité se déclara puis s’avoua. Enfin l’acceptation par l’entourage et la complicité retrouvée, miraculeuse et heureuse, avec la grand-mère toujours aimée.


Un magnifique double portrait, donc, troublant, sur les affres traversées par un jeune homosexuel issu d’un milieu hyper conventionnel, et sur celle qui fut, définitivement et plus encore que sa mère, la femme de sa vie.

AnneSchneider
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le 23 août 2020

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Anne Schneider

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