Treize ans avant d'entrer dans la peau d'Hannibal Lecter pour Le Silence des Agneaux, Anthony Hopkins incarnait avec excellence un grand anxieux dans Magic (névrosé apparemment – schizophrène finalement). Corky Withers est un ventriloque dont la carrière commence à décoller de façon impressionnante. Il s'apprête à être promu à la télévision et est soutenu par un producteur fameux. Il a confiance pour deux en Corky, ce qui ne suffit pas à retenir cet homme manifestement trop vite détruit. Corky se planque dans une maison isolée à la campagne avec sa marionnette Fats. Il la loue à une fille dont il était amoureux adolescent et tous deux vont tenter de consommer enfin cette romance qu'ils n'osaient entamer autrefois. Mais en chemin il y a un mari absent et toutes ces pressions sur Corky.
Magic est très glauque, un thriller ou film d'horreur sans gore, sans recours spectaculaires et même sans repères de genre. Ce dépouillement le rend assez déstabilisant, surtout que le programme est sujet à quelques écarts. En effet, l'écriture est 'lourde', surtout au départ, avec des protagonistes assez caricaturaux et quelques situations 'clichées' (l'humiliation au début). Pourtant la séance est captivante en raison de la profondeur du malaise encore plus que de la performance d'Hopkins. Tout au long du film, l'hypothèse fantastique du pantin autonome demeure, même quand elle est discréditée par les faits. On laisse cette possibilité ouverte tout en y croyant pas objectivement. On est absorbé par l'état de Corky, ses arrangements pathologiques avec la réalité ; à tout moment le spectateur sait qu'il est en présence d'un délire, mais en même temps tout est légitimé et au lieu de rupture avec le monde concret, il s'agit d'investissement parallèle. Corky est toujours un habitant du monde commun, avec une ombre excentrique qui le dévore.
Et en dépit d'aspects parfois un peu grossiers a-priori (sans être superficiels), Magic s'avère tout à fait malin et imprévisible. De bonnes idées et des manières originales sont appliquées à la narration et au découpage (dès l'ouverture, où Corky travesti sa mauvaise expérience). Le film semble facile à appréhender et finalement ne cesse de prendre à revers en négligeant les pistes sensationnelles ; lorsque Corky débarque dans la maison près du lac, il est difficile de concevoir que le reste du métrage s'y déroule, alors que des choses trépidantes sont promises ailleurs. Mais le scénario de William Goldman (deux Oscars pour ses scénarios avec Butch Cassidy et le Kid puis Les Hommes du président) prend le parti du héros, au risque de l'ennui notamment. Et le résultat est aride, sec bien que bouleversant, sincère et pourtant d'une froideur sinistre. On se raccrocherait presque aux quelques faiblesses pour ne pas reconnaître l'évidence, au moins pas sans garanties, mais elles vont venir. Si un spectateur veut entrer dans un esprit malade de façon franche et limpide, sans doutes ni fantaisies comme avec Le Locataire, Magic est fait pour lui.
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