Quand on croit qu’un film est mauvais, c’est souvent qu’on se borne à sa surface et qu’on ne comprend pas qu’en réalité, « c’est bien plus subtil que ça ».
Prenons Monsters, petit film buzzer de 2010 qui nous refit le coup de comm’ de Blair Witch ou Paranormal activity, à savoir j’ai pas d’argent mais du talent. Les esprits chagrins pourraient y voir une intrigue redondante et linéaire, des personnages ineptes et une déception quant aux promesses du titre ; ils ont tout faux.
Doctor Metaphor, coach en sous-couches, est un expert mondial qui vous transforme une crêpe en plat de lasagnes.
L’intro à rallonge ne fait que différer inutilement les débuts de l’intrigue ?
C’est une métaphore du désir : celui des spectateurs avides d’action, celui des personnages l’un face à l’autre.
Le personnage masculin est inepte ?
Point du tout : c’est un photographe, à savoir une mise en abyme du réalisateur lui-même, qui se pose la question cruciale du regard à porter sur la violence : conscient qu’on vend bien plus cher une photo d’un enfant mort que du bonheur, lucide quant à la portée morbide et voyeuriste de son activité.
Le personnage féminin est inepte ?
Que nenni : c’est une jolie fille à papa qui ne connait rien de la vie, et va s’enfoncer dans la jungle primale par le biais d’un road movie initiatique : en connexion avec son enfance (la peur du noir, de la forêt) et sa féminité (le jardin d’Eden propice à l’émergence du désir), elle sera à la fin du parcours devenue non seulement une femme mais aussi et surtout une personne. Just be yourself, comme disait Nike.
On ne voit presque jamais les monstres ?
C’est voulu. Gareth fait de son manque de moyens une force nouvelle : il joue avec nos peurs et notre imaginaire, fragmentant le corps étranger pour mieux exciter notre désir et notre appréhension.
On voit trop les monstres à la télé ?
Les chaines de télé d’info continue sont un habile paradoxe : présentes partout, visibles nulle part (reprise subtile de la définition du romancier par Flaubert), les créatures rappellent qu’en dépit de l’impensable, la vie continue : une forme de banalité qui renvoie le spectateur à la banalisation du mal tout en lui assénant une belle leçon sur la résilience et l’élan vital qui fait du simple quidam un héros.
Le trajet semble inutilement compliqué ?
C’est une métaphore du sort des migrants mexicains, et un film visionnaire quant aux promesses de campagne de Trump sur la réalisation du fameux mur frontalier. Ou quand l’étranger – l’alien – renvoie à l’autre sous toutes ses formes, et à la question centrale du point de vue qu’on pose sur lui.
Il ne se passe rien ?
Malheureux ! Monsieur ne photographie pas l’enfant mort promis par le scénario tel un bazzoka de Tchekhov (= rédemption), Madame est descendue de sa tour d’ivoire pour un épisode de « Vie ma vie de migrant clandestin » et on a quand même le droit à quelques éventrements ou voitures perchées dans les arbres, décharges cathartiques récompensant l’insoutenable attente du spectateur.
Le final est WTF ?
Au contraire ! C’est un sublime retournement qui confirme la leçon de tolérance contenue en germe durant tout le métrage : les aliens aussi font des papouilles et leurs tentacules ne sont rien d’autre que le prolongement des liens qui unissent ce couple tragique, condamné par les conventions, entre une paternité contrariée et un mariage sur les rails.
Un film en somme, qui, par ses détours, renforce avec subtilité sa réflexion sur la condition humaine.
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