Dystopie immédiate
Network est un grand film. Non pas gigantesque, boursouflé de sa propre importance. Grand. Sec, taillé à coups de serpe chirurgicaux. Que du nerf et des tripes, pas de chair inutile, pas de gras...
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le 7 oct. 2013
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Ce film fait partie de mon "rattrapage culturel" version "Un Genre = Un Film."
Scénario :
Tout commence lorsqu' Howard Beale, un animateur de journal télévisé, à deux semaines de se faire renvoyer, pète les plombs pendant le journal télé. Devant le scandale, sa chaine décide de le virer, puis de virer son boss, puis de le réembaucher après avoir découvert que face à une telle couverture médiatique, les pétages du bon vieux Howard étaient une mine d'or en terme d'audience et de part de marché. Le film suit une partie des exécutifs de la chaîne qui vont laisser le bordel se dérouler jusqu'à ce qu'il n'ai plus de sens.
"Network, main basse sur la TV " (Là encore, merci la trad française de nous avoir ajouté un "main basse sur la télé" qui ringardise l'oeuvre) est le film que j'avais choisit pour étudier ce qu'est un film "de critique des médias" suite à l'émission de radio "Pendant les travaux, le cinéma reste ouvert" consacré à la question "Critique des médias : et si le cinéma nous avait déjà tout dit ?"
Or, je m'aperçois qu'effectivement le film Network avait déjà tout dit. TOUT
Network avait déjà tout dit de la télé de son temps :
Le film est clairement un produit des années 70 et 80, cet époque où il n'y avait pas de chaines d'info en continue et est marqué par des renvois aux spécificités des chaines de télévision américaines : les infos sont relayées à partir des antennes locales, la côte est voit les programmes trois heures avant la côte ouest, etc... De plus, il y a toute une thématique sur les braquages perpétués par des groupuscules communistes, chose assez en vogue à l'époque et devenue assez désuette.
Toutefois elle renvoie à plusieurs facteurs qui allaient marquer le grand détour de cette télévision dans les années qui allaient suivre : la mondialisation, le rachat des chaines par de grands groupes financiers, l'apparition d'une nouvelle génération basé sur l'entertainment (l'arrivé d'une chaine comme "FOX" une bonne décennie plus tard, notamment...)
Network avait prédit la télévision actuelle :
Et c'est dingue de voir que la satire est encore actuelle. Alors, certes la façon de présenter le journal, ou les décors de télévision fait très 70's (avec ces immenses plateaux avec des parties qui pivotent...) est surannée, mais TOUT est là. Notamment le personnage de Diana Christensen, la directrice sociopathe en charge du divertissement, dont les reportages sur les guérilleros communistes ressemblent à s'y méprendre à ce que la télé-réalité nous donne depuis le début des années 2000. Son speech sur le fait que les informations télévisées ne sont rien d'autre qu'un gros divertissement voué à émouvoir et happer le spectateur est toujours d'actualité, encore plus avec l'apparition des racoleuses chaînes d'infos en continue !
Et il y a un constat désoeuvré qui sera toujours d'actualité sur la télévision dans la façon dont elle est capable de tout récupérer et de tout transformer en divertissement putassier, y compris sa propre critique. Le personnage d'Howard Beale fait un moment un succès d'audience paradoxal en hurlant "ETEIGNEZ VOS TELEVISEUR" montrant à quel point il est au coeur d'un problème qu'il ne peut pas éradiquer.
Network avait MEME prédit ce qui arriverait avec Internet :
A tout vous dire, bossant depuis quelques années sur la vidéo YouTube je n'ai pas pu m'empêcher à faire un parallèle entre ce que je vivais et ce que je voyais dans ce film ! On pensait arriver à une situation incroyablement inédite en s'apercevant que "Le drama fait plus de vues que du contenu original ?" : Bam, ce film de 1976 l'avait déjà compris dès les dix premières minutes et la façon dont les dirigeant de UBS exploitent l'incident provoqué par Howard Beale.
On se pense novateur avec nos speechs face caméra expliquant que le monde est merdique, que la société est complètement mondialisée et qu'il faut que tout le monde se réveille ? Le film nous dit qu'on a QUARANTE ANS de retard ! Mieux avec la scène où le personnage d'Howard Beale demande à ses téléspectateur les plus enragés contre le système d'hurler la phrase "je suis fou furieux et je n'en peux plus" à la fenêtre, un effet qui va être répété par des millions de gens à travers les états unis... et qui est déjà ce que l'on appellerait maintenant un "mème internet" (ou "faire le buzzz...")
Histoire d'augmenter en moi le malaise provoqué par cette vision prophétique, Howard Beale parle à un moment du "Tube" (le canal) et de son pouvoir. Et un Youtuber de 2016 qui entend un film de 1976 dire que le "Tube est tout puissant, le Tube a toujours raison" a un moment de "mind-fuck" assez puissant.
Depuis que j'ai fait cette liste de films "à rattrapper" j'étais tombé sur des films bons, moyens, décevant ou pas terrible mais aucun ne m'avait étonné : je savais à l'étiquette que ça allait me plaire ou me décevoir. Ici, je m'attendais à un film critiquant la télé, au ton un peu suranné et à l'esprit noir. Un film sympathique mais sans prétention.
Je me suis pris une PUTAIN DE CLAQUE ! Alors, je ne sais pas si c'est parce que je l'ai regardé avec 39° de fièvre (et en me disant sans arrêt "bon, faut que j'aille me coucher, dans 5 minutes j'arrête") mais le film m'a complètement retourné. Déjà par sa façon désabusé de voir les médias qui en fait quelque chose de toujours actuel (voir ma critique dans les paragraphes précédant.)
De plus, c'est TRES drôle : un humour très cynique (moi qui pensais que le "Loup de Wall Street" avait inventé ce genre de cynisme) où les personnages sont plus ou moins des pourritures et où les dialogues sont tous excellents. Les personnages sont bavards et on voit où quelqu'un comme Aaron Sorkin ("A la Maison Blanche") a puisé son inspiration. Et il y a sans doute une des scènes de sexe les plus décalée que j'ai vue au cinéma.
Le film est sans temps mort : depuis le début jusqu'à la fin le film réussi à nous happer à l'intérieur de l'univers et à toujours alterner entre les moments noirs et les moments de bravoures. Même une scène un peu cliché comme la séparation d'un couple parce que l'homme a une relation avec une femme plus jeune, est désamorcé par des allusions au fait que ce genre de moment est scénarisé dans les séries et qu'il y a des scénarios possibles. Mention spéciale au casting, impeccable !
Je pourrais limite reprocher à la fin d'être tiré par les cheveux, mais c'est un peu le genre de la satyre que d'exagérer les choses et de pousser les choses vers le scénario le plus glauque possible.
Je vais clairement m'intéresser aux autres films de Sydney Lumet (12 hommes en colère était sur ma liste) et voir ce que quelqu'un comme Paddy Chayefsky a fait d'autres. Parce que c'était vraiment brillant !!!
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Créée
le 31 oct. 2016
Critique lue 797 fois
7 j'aime
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