Silence et conscience
En matière de film de prison, Damiano Damiani ne révolutionne pas le genre avec Nous sommes tous en liberté provisoire, mais il arrive à mêler habilement les codes propres à ce segment avec les...
Par
le 30 sept. 2023
3 j'aime
Un poliziesco qui prend pour cadre une taule craspec, ça suffit en soi pour provoquer l’intérêt. Quand, en plus, derrière la caméra se trouve l’œil affûté et la rage politique de Damiano Damiani, celle qui s’est exprimée avec virulence dans l’excellent Confession d’un commissaire de police au procureur de la république réalisé la même année, l’intérêt se mue en une attente immédiate mêlée toutefois de la crainte d’assister à une certaine redite. En effet, conjuguer à nouveau, et sans délai, l’ambiance particulière de la vague dépressive des seventies italiennes à la revendication politique plus subtile en usant des yeux malicieux de Franco Nero peut sembler, de prime abord, un brin opportuniste.
Que l’on se rassure, il n’en est rien. Damiani parvient une nouvelle fois à mêler habilement toutes ces composantes en réalisant un film différent et réussi, même s’il ne retrouve pas la dynamique incroyable de Confession [...], la faute à quelques légères baisses de rythme et certains enchaînements un peu cavaliers dans le destin de l’architecte. Damiano Damiani use et abuse de ce personnage singulier pour déverser toute sa rancune envers un pays vérolé jusqu’au trognon : véhicule de luxe d’une satire sociale qui ne fait pas de concession, il est le reflet d’une caste sociale située en marge d’un quotidien instable, catapulté au cœur d’un monde réel rythmé par des jeux de pouvoir particulièrement vicieux.
C’est en effet la corruption dans son ensemble qui est au cœur de Nous sommes tous en liberté provisoire. Si l’architecte se met à l’abri, au début de son initiation carcérale, par le pouvoir que lui confère son aisance financière, bien vite il se rend compte qu’il n’est pas différent des autres détenus. A savoir un simple pion sur l’échiquier qui sert de support aux réels détenteurs de l’influence nécessaire pour huiler les rouages de l’administration, pénitencière dans le cas présent.
La réalisation sans esbroufe mais à la photographie soignée de Damiano Damniani, confère à Nous sommes tous en liberté provisoire des allures de documentaire intrépide. La caméra est plongée au cœur de la prison et ne quitte jamais Franco Nero. Marquant de son charisme chaque plan, l’acteur sombre dans les travers qu’il essayait de combattre lors de son incarcération, alors habitué, par une vie qui n’avait jamais su lui dire non, à élever la voix en cas d’insatisfaction.
La fin est sans équivoque, son premier compagnon de cellule, héros militaire condamné à mourir de honte dans une geôle isolée du monde qu’il a défendu, l’avait prévenu : on s’habitue à tout, même à fermer les yeux pour pouvoir continuer à espérer. La voix d’une fatalité déprimante, incarnée par la fille du seul innocent de l’histoire, rappelle une ultime fois à l’architecte sa faiblesse légitime, celle qui continue à privilégier les puissants, au détriment des âmes modestes qui ne peuvent que renoncer à se défendre, serrant les dents un peu plus longtemps pour endurer un quotidien bien sombre.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes L'ours, Homo Video, en 2015 et Les cycles de l'ours : Le poliziesco
Créée
le 21 avr. 2015
Critique lue 1.4K fois
9 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur Nous sommes tous en liberté provisoire
En matière de film de prison, Damiano Damiani ne révolutionne pas le genre avec Nous sommes tous en liberté provisoire, mais il arrive à mêler habilement les codes propres à ce segment avec les...
Par
le 30 sept. 2023
3 j'aime
Quand on parle de films de prisons, on évoque surtout les classiques américains, ainsi que certains films français. Etrangement, cette œuvre de Damiano Damiani est tombée dans l’oubli, alors qu’elle...
Par
le 6 déc. 2023
2 j'aime
Un architecte est emprisonné pour homicide involontaire. Il découvre l'horreur d'une prison gangrénée par la corruption et la loi du silence. Quand on parle de films de prison, on ne parle pas assez...
Par
le 12 nov. 2024
Du même critique
J’avais pourtant envie de la caresser dans le sens du poil cette mule prometteuse, dernier destrier en date du blondinet virtuose de la gâchette qui a su, au fil de sa carrière, prouver qu’il était...
Par
le 26 janv. 2019
83 j'aime
4
Tour à tour hypnotique et laborieux, Under the skin est un film qui exige de son spectateur un abandon total, un laisser-aller à l’expérience qui implique de ne pas perdre son temps à chercher...
Par
le 7 déc. 2014
74 j'aime
17
Exploiter l’adversité que réserve dame nature aux intrépides aventuriers pensant amadouer le sol de contrées qui leur sont inhospitalières, pour construire l’attachement réciproque qui se construit...
Par
le 14 déc. 2014
58 j'aime
8