Un poliziesco qui prend pour cadre une taule craspec, ça suffit en soi pour provoquer l’intérêt. Quand, en plus, derrière la caméra se trouve l’œil affûté et la rage politique de Damiano Damiani, celle qui s’est exprimée avec virulence dans l’excellent Confession d’un commissaire de police au procureur de la république réalisé la même année, l’intérêt se mue en une attente immédiate mêlée toutefois de la crainte d’assister à une certaine redite. En effet, conjuguer à nouveau, et sans délai, l’ambiance particulière de la vague dépressive des seventies italiennes à la revendication politique plus subtile en usant des yeux malicieux de Franco Nero peut sembler, de prime abord, un brin opportuniste.


Que l’on se rassure, il n’en est rien. Damiani parvient une nouvelle fois à mêler habilement toutes ces composantes en réalisant un film différent et réussi, même s’il ne retrouve pas la dynamique incroyable de Confession [...], la faute à quelques légères baisses de rythme et certains enchaînements un peu cavaliers dans le destin de l’architecte. Damiano Damiani use et abuse de ce personnage singulier pour déverser toute sa rancune envers un pays vérolé jusqu’au trognon : véhicule de luxe d’une satire sociale qui ne fait pas de concession, il est le reflet d’une caste sociale située en marge d’un quotidien instable, catapulté au cœur d’un monde réel rythmé par des jeux de pouvoir particulièrement vicieux.


C’est en effet la corruption dans son ensemble qui est au cœur de Nous sommes tous en liberté provisoire. Si l’architecte se met à l’abri, au début de son initiation carcérale, par le pouvoir que lui confère son aisance financière, bien vite il se rend compte qu’il n’est pas différent des autres détenus. A savoir un simple pion sur l’échiquier qui sert de support aux réels détenteurs de l’influence nécessaire pour huiler les rouages de l’administration, pénitencière dans le cas présent.


La réalisation sans esbroufe mais à la photographie soignée de Damiano Damniani, confère à Nous sommes tous en liberté provisoire des allures de documentaire intrépide. La caméra est plongée au cœur de la prison et ne quitte jamais Franco Nero. Marquant de son charisme chaque plan, l’acteur sombre dans les travers qu’il essayait de combattre lors de son incarcération, alors habitué, par une vie qui n’avait jamais su lui dire non, à élever la voix en cas d’insatisfaction.


La fin est sans équivoque, son premier compagnon de cellule, héros militaire condamné à mourir de honte dans une geôle isolée du monde qu’il a défendu, l’avait prévenu : on s’habitue à tout, même à fermer les yeux pour pouvoir continuer à espérer. La voix d’une fatalité déprimante, incarnée par la fille du seul innocent de l’histoire, rappelle une ultime fois à l’architecte sa faiblesse légitime, celle qui continue à privilégier les puissants, au détriment des âmes modestes qui ne peuvent que renoncer à se défendre, serrant les dents un peu plus longtemps pour endurer un quotidien bien sombre.

oso
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le 21 avr. 2015

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