Tourné à la fin de la carrière de Cassavetes, Opening Night se situe entre Meurtre d'un bookmaker chinois et Gloria. Il prolonge la réflexion ou du moins la prise de position du premier, où Cassavetes condamne les studios et les assimile à des mafias, aux mauvais goûts de surcroît. Il précède son dernier film avec Gena Rowlands, son épouse et actrice fétiche, où elle campera un personnage bien plus offensif et concluant qu'auparavant, négatif voir nihiliste aussi.


Comme dans l'ensemble des Cassavetes, les personnages piliers mènent une existence oisive et plutôt bourgeoise (dans Faces en particulier), mais le tumulte un peu poisseux du Bookmaker chinois a laissé des traces. Au cœur d'Opening Night se trouve Myrtle Gordon, cinquantenaire au comportement de vieille gamine, prenant un coup sévère. Aux yeux du monde c'est une actrice de théâtre reconnue. Elle se trouve soudain affectée par la pièce dont elle est l’héroïne ; trop affectée. Au rôle perturbant de cette femme confrontée au vieillissement s'ajoute la mort accidentelle d'une admiratrice devant le théâtre. La tragédie introspective va servir à Cassavetes d'hymne aux gens du spectacle, célébrant leur créativité et leurs exaltations parfois lourdes.


La réalisation est plus posée que d'habitude, avec une abondance de gros plans. Myrtle occupe l'espace en permanence. Elle a peur d'être enfermée de ce rôle, de s'y trouver trop bien : le succès qui s'annonce est violent ; être fait pour ce protagoniste de The Second Woman cruel, assassin selon ses craintes. L'humour est omniprésent dans Opening Night mais pas si sardonique que cette menace-là. Soutenue par son équipe mais chahutée, Myrtle avance néanmoins ; les interactions occupent une grande place et elle dialogue avec des personnes dont l'esprit est éventuellement étriqué ou cynique, mais plutôt clair, en tout cas péremptoire. Sous les apparences qui font tout, Myrtle est plongée dans une stricte solitude et un chaos moral.


Tout en se débattant elle tourne l’œil dans le rétro, s'y voit plus authentique, concrètement vive, etc. Le film avance, elle s'enfonce ; elle rampe pour tenir et assumera toujours avec brio sa place lors des représentations. C'est une fausse-fuyante. Comme promis, le final marque le triomphe ultime de la pièce, une comédie lourdingue et bavarde à propos des relations humaines où la maturité est synonyme de cynisme mou et de vives angoisses. Le ton est narcissique, insolent jusqu'à un certain point, puisque même dans la damnation Myrtle et Gena Rowlands sont sacralisées. Elles arrivent finalement à assumer cette nouvelle facette, gagnant encore, sous une forme éclatante et toujours plus mûre.


https://zogarok.wordpress.com/2015/05/05/opening-night/


Autres films de Cassavetes :
1968 Faces
1974 Une femme
1976 Meurtre

Créée

le 12 avr. 2015

Critique lue 554 fois

4 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 554 fois

4

D'autres avis sur Opening Night

Opening Night
Sergent_Pepper
8

Une femme sans influences

Quelque soit son sujet, Cassavetes ne déroge jamais, au fil de sa filmographie, à une ambition de plus en plus précise : celle d’un portrait obsessionnel. Alors que ses premiers films s’attachaient...

le 17 mai 2015

41 j'aime

Opening Night
EIA
10

Miroir, miroir ( critique fleuve)

AVEC DU SPOIL DEDANS Un film qui m'a intéressée sur plusieurs points. Une réflexion sur la condition d'actrice, d'abord. Il n'est pas facile de vieillir quand on est une femme. Il l'est encore moins...

Par

le 13 juil. 2013

28 j'aime

20

Opening Night
Fatpooper
5

Un égo gros comme ça

John Cassevetes, j'ai un peu de mal. Pourtant y a toujours des choses qui me plaisent dans ses films. Mis je ne m'avoue pas vaincu, je verrai ses films que je n'ai pas encore vu. Le scénario m'a paru...

le 22 mars 2015

12 j'aime

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2