Miroir, miroir ( critique fleuve)
AVEC DU SPOIL DEDANS
Un film qui m'a intéressée sur plusieurs points.
Une réflexion sur la condition d'actrice, d'abord. Il n'est pas facile de vieillir quand on est une femme. Il l'est encore moins quand on est actrice. Il est rare qu'une actrice d'âge mûr tienne les devants de la scène, c'est un milieu où une femme se doit d'être belle et désirable et le temps qui passe remet cela cruellement en cause.
Ici, Myrtle Gordon est une actrice renommée qui se voit tenir le rôle titre dans une pièce destinée à être jouée sur Broadway, une pièce qui parle d'une femme qui se sent devenir autre, qui se sent devenir cette seconde femme, celle que l'on devient après un certain âge, une certaine expérience. Cette perspective, vieillir, terrifie Myrtle qui s'y refuse, qui a toujours tout fait pour rester éternellement jeune aux yeux de son public et de ses admirateurs.
Un soir, au sortir d'une représentation donnée à New Haven en préparation, Myrtle croise le chemin de Nancy, jeune femme de 18 ans éprise de théâtre et de Myrtle même, qui la suit jusque sa voiture et se fait renversée. Myrtle change suite à ça. Difficile pour elle de continuer comme si de rien n'était, alors que cette fille lui témoignait tellement d'amour, qu'elle est morte de s'être trouvée au mauvais endroit au mauvais moment, c'est à dire aux côtés de Myrtle.
Nancy, blonde aux yeux bleus, ressemblait étrangement à Myrtle jeune, et celle ci en fait l'avatar de sa jeunesse perdue, du temps, dit elle, où elle pouvait tout sentir si facilement.
Mais refusant toujours de se pencher sérieusement sur la problématique abordée dans la pièce, Myrtle rend tout son entourage, du metteur en scène à l'auteure, en passant par le producteur et son partenaire de jeu, fou, d'inquiétude et d'exaspération.
Voilà pour le scénario. Ce qui m'a intéressée encore plus, c'est que ce film est une mise en abîme dans une mise en abîme dans une mise en abîme..
D'abord, Gena Rowlands, et John Cassavetes, tous deux acteurs de formation, jouent ici des acteurs ( ce qui soit dit en passant n'est pas chose aisée).
Ensuite, le personnage que Gena interprète sur scène s'appelle Virginia, qui est le vrai prénom de Gena Rowlands.
Dans la pièce, Virginia et Marty, le personnage qu'interprète John Cassavetes, sont en couple.
Ces différents éléments me poussent à voir dans ce film plus qu'une simple réflexion sur le métier d'actrice, mais aussi une reflexion sur le couple actrice/réalisatrice, et bien sûr plus particulièrement sur celui Rowlands/Cassavetes.
Il y a des scènes, notamment celle où Marty dit à Virginia qu'il l'aime, que depuis qu'il l'a connue elle est sa muse, qu'elle lui a fait découvrir l'art, qu'elle l'inspire, qui résonnent dans ce que Gena a effectivement été pour J.C.
Il y a des répliques, qu'il lui dit, qui sont peut-être le reflet d'une peur de Rowlands, ou de discussions, de disputes qu'ils ont pu avoir.
Ce qui m'intéresse là dedans n'est pas le côté autopsie du couple, mais la manière dont cette autopsie est traitée.
Le couple dans le film même, n'existe que sur les planches, donc uniquement dans le travail. Dès que le rideau est tombée, si Myrtle semble amoureuse de Maurice, Maurice lui, lui dit ne pouvoir la voir que comme une professionnelle, une actrice, et non pas une femme. Tout le temps voir jouer la femme qu'on aime peut finir par faire douter de sa sincérité dans les autres domaines de la vie ( surtout quand elle joue aussi bien).
De plus, à mon sens Cassavetes n'est pas présent que dans le personnage qu'il interprète, Maurice, mais également bien sûr dans celui que Ben Gazzara joue, le metteur en scène. Metteur en scène qui fantasme son actrice, est attirée par elle, lui cède certains caprices, du moment que son travail est respecté, qu'elle lui donne le meilleur d'elle même. C'est un amour conditionnel qu'un réalisateur ou un metteur en scène est obligé d'avoir vis à vis de ses acteurs s'il veut pouvoir faire son travail. Normalement.
Comme on le sait, le couple Rowlands/Cassavetes a souvent collaboré ensemble avec le ( très beau) résultat qu'on connait. Mais cette scission qui s'opère normalement naturellement entre deux professionnels qui ne seraient liés que par la camaraderie, que devient-elle au sein d'un couple?
Elle devient ce film, truffé de figure de double, de miroirs..
Il y a d'abord Gena/Myrtle/Virginia/Nancy.
Mais également John/Maurice/Marty/Manny ( le nom même de Manny, qui fait penser à Man, homme, me permet d'en faire un "double" symbolique.
Qui plus est, le sujet de l'actrice qui a peur de se voir vieillir a déjà été traité ( et avec quel talent ! ) par Mankiewicz dans All About Eve, interprété magistralement par Bette Davis.
Or, Rowlands a décidé de se lancer dans une carrière d'actrice en voyant jouer Bette Davis (merci Bette), tout comme Nancy dans le film a l'air passionnée de voir jouer Myrtle. Nancy, devenue le double de Myrtle, lui dira d'ailleurs qu'elle ne vivait que pour elle, ce qui me rappelle le personnage d'Eve qui avant de prendre la place de Margot, est une admiratrice de l'actrice.
Un hommage sûrement.
Cette critique est atrocement longue et si vous l'avez lue jusqu'au bout, je vous en remercie bien..