Avant l'aigreur et déjà dans le circuit des primates désillusionnés

Dernier de la trilogie (sortie en 2012-2013) d'Ulrich Seidl, Paradis : Espoir verse le plus clairement dans la comédie (avec les confidences, leurs joies et rapports d'expérience de jeunes filles obèses, ivres de rêves et de désirs en éveil), même s'il la tient à distance comme toute intention trop vive. Après un opus particulièrement sinistre (Foi), ce Paradis est celui du relâchement. Il n'y a plus la gravité d'Amour à cause de son côté borderline, de son contexte sentant le soufre. Espoir partage sa mesquinerie exacerbée, sans les compensations positives – pas de compassion ou de tristesse devant la détresse, pas de prise de conscience venant de la laide protagoniste pour réparer un peu cette horreur.


En somme cette peine est la plus méritée ; elle est banale et médiocre comme sa protagoniste, bouffonne héroïque d'une sous-tragédie sans la moindre beauté. Pourtant on ne saurait accabler cette petite créature, car son cas a beau être désespéré, il n'est pas désespérant – alors à quoi bon la méchanceté ? Sans hargne ni haine, avec tout au plus une commisération fataliste et narquoise, Paradis : Espoir relate ce gâchis garanti pour Mélanie et ses amies du centre d'amaigrissement où elles ont été collées pour l'été. Ce sont des enfants pourris esseulés, déjà des beaufs à bière, sans pression. Il n'ont pas d'autre destin, leurs parents irresponsables ont d'autres intérêts ou non-préoccupations. S'ils doivent dévier, il faudra des luttes intenses ou des miracles, les deux semblant hors-de-portée en vertu de leurs caractères – sans ressorts ni attraits, hormis pour des pervers amateurs de viande molle, à tous degrés.


C'est le cas de cet homme mûr sur lequel Mélanie fait une fixette : un médecin, personnage tendancieux, genre vicieux méthodique avec face 'proprette'. La vie ne doit pas sourire à Mélanie et la voilà déjà en train de se créer des souvenirs lamentables, en coulant vers la domestication pathétique qui doit être celle d'une pauvre âme chétive et demandeuse dans son genre. L'ado fantasme sur un vrai pourri, sans rien de romantique. Il n'est même pas spécialement intelligent. Il s'est simplement arrangé pour devenir une sorte d'autorité afin d'assouvir ses besoins et se divertir avec un maximum de confort ; voilà l'aventurier mou déguisé en sage compétent, profitant d'un système et de la crédulité de ses otages. Il peut éprouver des doutes et de la culpabilité, mais ils ne vont ni le blanchir ni rendre sa relation plus charitable ou excitante pour la captive. Voilà une véritable leçon de vie pour Mélanie, qui a les honneurs de se faire chatouiller par le vigile en chef.


Toutefois elle et ses camarades ne sont pas présentées comme des victimes – ou alors, ce sont tellement des victimes intrinsèques qu'il n'est plus question de s'en soucier. Nous sommes dans la normalité, la leur et d'ailleurs ces jeunes ados l'ont intégré puisqu'ils sont peu affectés. Comme ses prédécesseurs Paradis Espoir ressemble à un documentaire, d'où on aurait retiré l'information et les annotations, pour s’atteler à humilier les 'puissances' d'une femme qui n'en a que dans ses rêves, en opposant une froideur totale à leurs prétentions et justifications. La plus jeune s'en tire le mieux car elle est un objet de farce et sa naïveté reste une défense légitime ; sa tante est la plus honorable car la plus combative et idéaliste, la seule dans le dépassement de soi, mais c'est aussi la plus triste et effrayante – elle a le tort d'avoir une énergie à perdre, quand les autres n'ont que des sentiments primaires et des kilos à liquider.


https://zogarok.wordpress.com/2021/07/16/trilogie-du-paradis-seidl/

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le 9 juil. 2017

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