Premier long-métrage de René Clair, sorti la même année qu'Entr'acte. Déjà éloigné formellement du surréalisme de ce dernier, Paris qui dort en garde néanmoins la tonalité, et s'en sert pour mettre en scène une comédie burlesque dans laquelle la capitale est figée par le rayon paralysant d'un savant fou. Le film est étonnant par la modernité totale de son propos, et à ce titre se prête volontiers aux interprétations.
La ville est silencieuse et désertée, les seuls rescapés sont ceux qui ont pris de la hauteur : le gardien de la tour Eiffel, et des voyageurs en avion. A l'atterrissage, ils sont atterrés. Mais très vite laissent libre cours à toutes leurs fantaisies : c'est le restaurant gratuit, les ballades tranquilles dans Paris, c'est coucher au sommet de la tour, etc. En somme, tout ce qui est impossible en temps normal, et je crois que c'est bien le propos du film : nous montrer la quiétude d'un monde moderne figé, son retour en arrière salutaire. Même avec son lot d'inconvénients, comme le retour au stade préhistorique des hommes confrontés à la seule femme restante (qui s'en tire bien finalement), ou, justement, le déchirement du masque social, quelque part aussi hypocrite, du groupe qui soudainement, voyant que tout leur est possible, ne s’embarrasse plus de rien et vit selon ses envies primaires et immédiates. La liberté s’estompe au profit de la licence, primitive et profondément humaine, parce qu’animale.
Mais René Clair apporte le contrepoint. Après s’être amusé et avoir bien profité de la situation, le groupe s’ennuie ! Eh oui, c’est que l’homme est un animal social (pardonnez cette lapalissade), qu’il lui faut donc « quelqu’un ou quelque chose pour qui vivre », comme un panneau narratif l’indique lorsque les protagonistes découvrent avec joie la présence d’un autre rescapé, et ils vont tout entreprendre pour obliger ce savant fou à rétablir la situation. Mission accomplie ! et René Clair de mettre en scène le gag le plus important : pendant un combat entre le savant et l’un des membres du groupe, le levier du rayon est activé et désactivé plusieurs fois, actionnant et figeant le monde à répétition, avant qu’un malencontreux mouvement ne le bloque du mauvais côté... donnant lieu, cette fois, dans une suite de plans génialement tragique, à l’accélération de l’activité humaine, aux voitures qui roulent à blinde et aux gens pressés, préfigurant complètement l’avenir de la société effrénée que l’on vit aujourd’hui, où l’on ne prend plus le temps de prendre son temps, où tout va à 200 à l’heure. A bien y réfléchir, pas si fou, le savant.
Un gag accidentel, peut-être, mais que j’ai trouvé incroyablement visionnaire.
Après, il faut aussi dire que la révolution industrielle avait déjà eu lieu, et qu’on pouvait déjà à cette époque s’inquiéter de ses conséquences. Sociétales, d’accord, mais avant tout humaines, ce dont René Clair, à mon avis, rend très bien compte ici, par sa poésie filmique propre, qui montre aussi parallèlement que Paris sans les Parisiens, c'est pas plus mal. Et accompagné en cela des Gymnopédies d’Erik Satie (dans la version que j’ai vue du moins), même au synthé Yamaha, ça fonctionne.