Un projet comme Roger Rabbit n’aurait aujourd’hui plus du tout le retentissement qu’il eut en 1988, tant le numérique a infusé le film, qu’il s’agisse de décor ou de personnages entiers.
Plutôt que de faire un cours sur l’animation aux jeunes spectateurs, choisissons de leur présenter le film sans commentaire : à savoir, en prologue, ce cartoon absolument grandiose, entreprise de destruction massive du lapin éponyme s’acharnant à souffrir de toutes les potentialités qu’une cuisine peut offrir.
La rupture narrative qui clôt le dessin animé pour montrer son tournage en prise de vue réelles est un effet de surprise garanti, qui saisit tout public et met en place un univers singulier dont les vertus distrayantes ne se démentiront pas.
Roger Rabbit, c’est ce point d’équilibre incroyable entre la référence permanente (à l’univers des Toons, certes, mais aussi au film noir) et une tonalité propre, un humour pétillant et des trouvailles à la pelle. Zemeckis est alors à son apogée, et on trouve dans ce film la même vibration enthousiaste que chez Joe Dante, cet amour du cinéma qui nous recrée tout un décor et ne cesse de parler de l’illusion, des faux semblants au service de la vertu suprême, le rire. Outre le personnage hilarant de Roger Rabbit lui-même, tornade comique à l’effet dévastateur, les animateurs nous gratifient d’un flingue à balles capricieuses, d’un taxi allumé, d’une vamp aux formes démesurées, (« I'm not bad. I'm just drawn that way ») d’un duel de canards au piano à queue et de fouines qui meurent de rire…
Le rythme est endiablé, et la totalité de l’équipe semble se faire plaisir, de Bob Hoskins qui donne chair à ses interlocuteurs virtuels à Christopher Lloyd à qui on offre un rôle à sa démesure, celui d’un Toon serial killer, le tout au service d’une satire assez maline sur l’évolution urbaine, le projet d’autoroute et des commerces aseptisés qui la jalonneraient semblant l’idée d’un esprit totalement malade.
Voilà qui ravit : Roger Rabbit vieillit particulièrement bien. Parce que son rythme est intact, parce que ses répliques font mouche et ses gags sont atemporels. Et l’on est ravi de se joindre à Jessica lorsqu’elle affirme à son mari : « I've loved you more than any woman's ever loved a rabbit. »