Au début des années 1930, les films de gangsters pullulent et profitent de la flexibilité de la censure. Trois films sont emblématiques de cette période : L'ennemi public, Le petit César (1931) et Scarface (1932). Ce dernier connaîtra cependant des démêlées avec la censure, purgeant le film de son évocation de l'inceste et lui soumettant plusieurs scènes explicitement moralistes. Le film sortira au terme d'un intense affrontement entre l'équipe de Howard Hawks et la Hays Office. Il devient le modèle du genre.
Les films de gangsters s'inspirent alors des événements liés aux trafics pendant la Prohibition et à l'explosion de la criminalité propre à l'époque. Scarface s'inspire directement d'Al Capone et de ses exactions. Comme pour les autres films, la frontière est mince entre réalité et fiction ; le cinéma a alors tendance à valoriser ces malfrats, corrigeant systématiquement le tir en mettant en relief la chute de l'être hors-du-commun devenu entre-temps un anti-héros. Scarface grave cette tendance dans le marbre, tout en étant moins schématique.
Howard Hawks rend le personnage et son environnement sympathiques dans une certaine mesure, mais est loin de l'emphase de ses concurrents ou du remake dirigé par Brian de Palma en 1983. Son approche est très directe, flirtant même avec la naïveté. Tout en travaillant dans un cadre bien établi, le spectacle jouit d'une grande liberté de ton. La modernité du travail d'Hawks et quelques-uns de ses mouvements de caméra pourront surprendre les spectateurs contemporains. De plus le film se distingue du lot commun des grosses productions de son temps par sa violence radicale.
Scarface est extrêmement politisé, bien au-delà de son appel à la répression contre les bandes organisées lancée au gouvernement fédéral (pointant notamment l'absence de loi dans les états pour contrer le trafic d'armes). En marge des cartons de la Hays Office et de ses messages explicites, Hawks dresse un état des lieux cinglant sur la société américaine. Rejoignant la censure, il dénonce l'admiration ou la complaisance que les bandits peuvent susciter et se montre conséquent (de façon plus littérale qu'un Tueurs nés jouant de cette réalité avec ironie et provocation).
Il attaque notamment le mythe du self made man dont Tony Camonte est le produit malheureux. Toujours cru et réaliste, Hawks ne donne jamais de teneur romantique à son histoire, mais bien une dimension tragique au processus et pathétique au héros, dans la double acception du terme. Tony Camonte est un nouveau riche avec les tares assimilées, son ascension est toujours entachée par sa grossièreté. Son destin n'est pas victorieux et sa réussite superficielle, toujours au prix d'un certain avilissement, pendant que sa vie privée et familiale tend au malsain.
Étonnamment ancré dans la comédie au départ, le film devient toujours plus sombre, montrant la décadence du personnage puis sa sortie. Hawks n'en fait pas une trajectoire inéluctable comme si la main d'un dieu vengeur surplombait la réalité : il reste toujours à terre, sans considération pour des vérités ou réalités supérieures. Il montre donc au spectateur que la déchéance de Camonte est une conséquence logique et le triomphe dans le crime une question de moyens plus que de volonté ou de génie personnel, Camonte étant par ailleurs un enfant ridicule insinué dans la peau d'un prédateur.
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