Au coin de l’une des ruelles d’un New York translucide, le précipice est devant ses yeux. Ce quotidien morne et insensible, sonne les carillons aux heures attendues. Puis vint le coup de téléphone, vampirisant un passé douteux, une sœur qui sort de nulle part, maladive, qui creuse les entrailles de Brandon dans le silence, pour rouvrir une plaie béante, insurmontable d’une relation faite de sous-entendus, entre haine et amour platonique. Un manque d’indice qui laisse planer le doute sur leur enfance (inceste ?). Moment de trouble et de fusion, le seul instant où les deux arriveront à communiquer sera cette magnifique scène de champ contre champ où Sissy chantera dans un bar où sans se regarder, sans se parler, ils se comprendront mutuellement. Mais le cœur de l’histoire, c’est lui, ses démons, son rythme de vie, son stakhanovisme sexuel. Brandon suit une routine presque militaire, une vie réglée au millimètre près ; entre son appartement et son travail. Jusqu’au jour où cette fameuse sœur Sissy apparaitra. Shame, n’est pas une histoire de honte mais de solitude ; l’esclavage d’une pensée automatisée, qui a peu de chose près, s’efface par la désaffection du plaisir inexistant.


Derrière un sourire de façade et un costume tiré à quatre épingles, Brandon essaye tant bien que mal de respirer, de faire tomber la cravate pour assouvir des pulsions sexuelles qu'il ne peut contrôler. Ce n’est pas un mal, mais un besoin. Une consommation physiologique et non désireuse. Le sexe est libérateur et destructeur, un acte de violence selon Mcqueen, il fait gicler la détresse d’une existence. Un point d’appui qui tangue devant une webcam ou au bras d’une prostituée, devant une accessibilité pornographique florissante et désinhibante. C’est un prédateur qui cherche à enfermer ses proies dans son tourbillon dévastateur, il chasse tôt le matin, dans le métro, où il essayera de déstabiliser une belle rousse. Brandon est l’homo erectus cynique, le parfait male alpha modelé par une société de concurrence et de performance absoute de toutes limites, sur lequel Steve Mcqueen posera son regard, questionné mais non moralisateur, comme lorsqu'il photographiait les stigmates physiques de Bobby Sands. On y voit un homme presque déshumanisé, où l’instinct primitif prend le pas sur la raison.


La sophistication de la mise en scène, sa plastique rigide mais non moins magistrale, clarifie la froideur, émancipe la distance émotive d‘un homme, d’une ville, d’un monde au contour alimenté par une chair glacée. New York avec ses buildings transparents où les individus couchent aux yeux de tous et ses appartements sans couleurs met en évidence le vide monstrueusement existentiel d’un tout, à l’instar d’un Andrzej Zulawski avec Possession. Brandon est Michael Fassbender, Michael Fassbender est Brandon. Qui mieux que lui pour jouer ce rôle au squelette dessiné et à la sécheresse sentimental profonde. Son charisme, sa force centrifuge, sa fermeté, une sorte de virilité qui s’estompe par sa violence, qui retranscrit à merveille les fêlures aliénantes de cet homme. Enfermé dans un cercle vicieux qui robotise sa psyché, qui défriche sa pensée ; il ne fait plus la différence entre vouloir jouir et vouloir prendre du plaisir d'où cette séquence dans la boite gay, qui visuellement et thématiquement, proche de Gaspar Noe, met en exergue la confusion des sens d’un être.

Velvetman
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le 19 févr. 2015

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