Tout n’est qu’une question de temps. Chaque action, chaque souvenir, chaque passion, tout devenir. De l’attente à la réflexion, de l’envie à la frustration, du passé au présent, de l’espoir mourant à ce renouveau dans l’instant, le temps agit sur nous comme un tableau sur le mur de la vie, qui déciderait de tomber, d’un commun accord avec le clou qui le retiendrait. Un temps qui fuit autant qu’il morcèle la vie : de rencontres, de déceptions, d’espérances. Le cinéma ne déroge pas à cette règle. Chaque film est voué à s’attendre, à s’oublier, à se remémorer.
Un peu comme ces années où les légendes s’éteignent. L’excitation se gorge alors d’une profonde mélancolie, justifiée et pourtant si éphémère. Car leur lumière est éternelle. Celle entourant Star Wars en est une épée flamboyante, brillant dans une nuit où les étoiles s’éclipsent : Carrie Fischer n’est plus, et pourtant, elle résiste sur chaque morceau de pellicule et dans l’inconscient de ceux qui la regardent. Une Image, un symbole. Puisqu’en dépit du temps qui passe, quelque chose reste : une flamme populaire, un engouement collectif, que même un enterrement renforce. Star Wars, c’est un peu comme le Johnny Hallyday du cinéma de science fiction : un culte du passé trouvant son écho dans les cœurs passionnés d’une nouvelle génération.
Mais prendre conscience de ce temps à pertes, c’est aussi faire face à l’impossible retour en arrière. Car plus rien ne sera jamais comme avant. Les mythes s’adaptent, alors que le passé se fige : l’évolution est la tragédie même du nostalgique. Se souvenir que même les séances surchargées de La Bamba avaient conduits à une explosion des vitres d’un cinéma Dunkerquois. Se souvenir de ces files de fans arborant des accessoires à l’effigie de leur adoration, pour au final n’y voir aujourd’hui qu’un nouveau mode de consommation : un cinéma qui est devenu aussi régulier que prévisible, là où le spectateur n’en devient qu’un individu blasé par le simple fait d’être émerveillé. Un émerveillement qui se perd, et ce malgré les tentatives d’en renouveler l’intensité nécessaire.
Star Wars : le réveil de la Force était l’opus de la transition, du passage de la tradition à la modernité, celui d’une renaissance pour une nouvelle génération de spectateurs. Ce moment de convergence et de transmission où le Père s’est uni à son Fils par la force d’une mythologie. Comme une volonté de déchirer l’hyperespace pour donner un nouveau souffle à la galaxie. Et même si cette réactivation du mythe se faisait en toute humilité, Abrams y masquait le souffle naissant en unifiant la filiation dans une (é)toile de maître, comme un enfant soucieux de reproduire l’imaginaire qu’il a vu naître, un pilleur conscient de ses responsabilités: un sentiment de rattachement à l’héritage alors même que l’envie de s’en détacher ne manquait pas.
Tout l’éclat du sabre s’en retrouvait affaibli par cette nostalgie, mais la volonté d’affranchissement était bien là. Une démarche symbolisée par le parricide d’Han Solo, véritable révélateur de cette soif de renouveau. Cultiver le mythe dans un hommage tendant vers l’émancipation en somme. Puisque toutes les thématiques des Derniers Jedi étaient déjà en germes dans Le Réveil de la Force : un nouvel apprentissage, un parcours initiatique, une odyssée intérieure très manichéenne, les troubles identitaires, ces forces extérieures jouant sur le destin de ses personnages ; retirer le casque pour se révéler dans toute son ambigüité, et participer en définitive à ces premiers pas vers un nouvel espoir. Car notre force c’est d’y croire. Croire que ce passé survivra par-delà le renouveau. Reste à se tourner vers l’avenir et ces Jedi en devenir.
Star Wars : Les Derniers Jedi se voudrait ainsi l’épisode de la maturité. Une sorte de destruction de la nostalgie pour mieux en renouveler le mythe. Johnson s’inscrit ainsi dans une parfaite continuité thématique vis-à-vis de ce qu’avait amorcé Abrams : le parricide prend ici une ampleur plus ambigüe. Comme un questionnement du réalisateur sur sa capacité à brûler ses icônes, une lutte contre le passé pour assurer la survie de son futur. Blade Runner 2049 en fut l’exemple parfait : un impossible retour au passé dans lequel il ne reste que des bugs, des mirages, et un œil s’ouvrant sur l’avenir et une possible indépendance. La volonté d’instaurer un nouvel ordre dans la galaxie est d’ailleurs au cœur même du récit des Derniers Jedi.
Toute l’essence de ce nouvel opus pourrait se résumer ainsi en une réplique clé : « Let The Past Die ». Car il apparaît nécessaire de tuer ses mythes pour que la transition soit totale. La seule scène de l’arbre en feu en est représentative, tout comme Blade Runner 2049 faisait de son arbre mort, une entité protectrice des ossements de l’être aimé. Ici, comme le symbole d’une généalogie qui s’efface pour en reconstruire une nouvelle. Couper les liens, les racines, à jamais.
Toute l’œuvre de Johnson est donc bâtie sur cette transformation. Les icônes que sont Leia ou Luke ne constituent qu’un socle pour fonder le renouveau, cette génération incarnée par Finn et Rey (Daisy Ridley et John Boyega, deux acteurs inconnus avant Le Réveil de la Force, symbolisant cette envie de modernisme). De plus, la tonalité plus sombre et fataliste permet à ses personnages de briller dans l’ombre et la lumière de la force, comme cette élévation du personnage de Luke (admirablement incarné par Mark Hamill) du remord l’assombrissant jusqu’à la paix intérieure comme épilogue. Une œuvre définitivement tournée vers l’espoir donc, un espoir de jeunesse.
Une œuvre également portée par une non-absence, par la mélancolie de la disparition d’une princesse, d’une étoile : chacune de ses apparitions revêt un caractère émotionnel assez fort. Comme une sorte d’hologramme du souvenir, ou l’évaporation d’un Jedi touché par la sagesse sous un soleil couchant. Car demain est un autre jour. La transition se voudrait totale mais n’incarne malheureusement qu’un flottement, un intermède renforçant les intentions du précèdent volet. Reste à passer définitivement du côté obscur de la modernité.
Néanmoins, en télescopant l’émerveillement dans les plaines d’un onirisme au potentiel de renouveau, Johnson se fait avant tout créateur de sa propre audace : l’ampleur de sa mise en scène, toujours en mouvement, témoigne de sa volonté d’y imposer sa patte. Tout y est dans l’épure, l’épique et la virtuosité : à l’image de ce travelling très Murnau pour marquer l’entrée dans le Casino ; le fait de se démarquer par l’illusion de proximité où le champ/ contre-champ se fait vecteur d’une force inter-espaces des pensées ; ou cette apothéose en rouge et blanc, comme pour renforcer le conflit et la dichotomie entre le sel et le sang, la paix et la guerre, le bien et le Mal. Tout en se mélangeant au style amené par Abrams : de ces plans d’une fluidité exemplaire à cette caméra touchant à l’authenticité (et parfois à un certain classicisme), se dégage de l’œuvre une puissance agréable à défaut de cette grandeur opératique jadis approchée.
Et même si le formatage Disney se fait ressentir à maintes reprises, les créatures peuplant le récit valent le coup d’œil, et notamment ces Porgs aussi drôles qu’attachants (#AdopteTonPorg). L’humour, quant à lui, sert le rythme autant qu’il dessert l’émotion. Alors que la grandeur de l’ensemble n’est plus à remettre en question, Star Wars 8 donne cette sensation d’éparpillement, symbolisée par une première partie aux évidentes longueurs et une construction narrative assez déstabilisante basée sur ces multiples trames parallèles et changements de point de vue. Mais la véritable frustration de Star Wars 8 réside dans son absence de progression. Le sentiment de faire du surplace dans l’intrigue. Comme dépassé par une telle entreprise, l’ensemble semble chercher cette lumière pour ne jamais la trouver. Juste des bribes perdus dans une galaxie aussi lointaine que non mémorable.
Star Wars : Les Derniers Jedi est pourtant une invitation à s’aventurer au-delà de sa mythologie. Se surprendre à imaginer cet objet difforme mais incroyablement novateur, d’une œuvre contemplative, métaphysique et politique jusqu’à son opposé tout en désinvolture. Mais quand on y pense, Star Wars, c’est un peu de tout ça. Un réalisateur prêt à adapter son style pour épouser celui d’une entité en constant développement, d’une œuvre prêchant le divertissement comme véhicule de pensée. Ancré dans l’inconscient collectif, Star Wars c’est un peu de nous tous. Et ce dernier volet contourne la déception en y insufflant un sens quasi chevaleresque dans l’héritage de la force, appuyé par une réalisation soucieuse du graphisme et de l’ampleur des cadres.
Alors que Stars Wars 7 contribuait à ressusciter les icônes pour amorcer leur disparition, Star Wars 8 concentre sa réflexion sur les conflits intérieurs des personnages, au risque de se perdre dans les poncifs de son intrigue. Kylo Ren se révèle ainsi bien plus profond et déchiré. Du Padawan au Jedi, se contemple une force intérieure. Une force encore sous-exploitée. Comme une émotion à faire renaître, où il ne reste que des cendres, des tentatives néanmoins fascinantes de s’amuser des reliques pour au final ne rien révéler. Juste conserver ces mêmes frissons à l’écoute d’un Theme qui défile à travers une galaxie de souvenirs. Tout cela au final pour attiser cette flamme, qui continuera éternellement de briller dans nos cœurs. Car Personne ne disparaît vraiment. Pas même les mythes, pas même les légendes.
The Leftovers…
Pensée inutile : Un Star Wars par Ken Loach ? Des Stormtroopers en grève pour l’augmentation des salaires, un flashback sur l’enfance de Rey saisie par les services sociaux, un Luke Skywalker toujours au chômage et supprimé des listes de Pôle Emploi... Sans parler du Leader Suprême Snoke qui réclame ses allocations retraite.
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