Il est parfois difficile de connaître son propre ressenti sur une œuvre. Non que l’avis soit une notion subjective qui ne s’impose véritablement à nous même que par le biais des émotions, mais que ce soit pour des raisons d’incompréhension aussi bien que de sentiments ambivalents, celle-ci n’existe que dans son recul avec celui qui la regarde. Comme un mystérieux équilibre de contradictions, où l’enrobage en chocolat ne cacherait seulement qu’un excrément de grandiloquence. Un recul qui se veut bien souvent volontaire de manière à susciter une expérience post-cinématographique chez celui qui en est témoin. Car l’expérience que propose Mother ! tient moins en son assimilation qu’en l’abandon de son spectateur.


Une division critique qui d’ailleurs se veut le reflet de la réussite du film, témoignant de son emprise totale sur le spectateur, et du malaise qu’il peut en résulter. Car de cette manipulation sadique orchestrée par Aronofsky, découle une commotion cérébrale à faire passer Requiem for a dream pour un remake des Télétubbies. Ce qui a pour effet de pousser notre esprit aux bords de l’insupportable, et de retourner une grande partie des spectateurs contre le film lui-même. Un retournement s’inscrivant dans la permanence du propos développé par le cinéaste : écraser le cœur de l’humanité sous un excès de croyance.


L’œuvre d’Aronofsky se voudrait en effet pousser le traumatisme jusqu’à sa propre destruction. Comme une adoration généralisée qui viendrait à se pervertir au contact des hommes. Le résultat d’une humanité qui dévore littéralement une foi en l’universel, mais se détruit par sa propre obsession. Mother nous crache au visage, nous roue de coups et nous éviscère pour mieux nous faire comprendre la femme dans laquelle nous vivons. Là encore, autant d’interprétations que d’appels à la réflexion : cauchemar écologique d’un Eden que nous massacrons ? Réécriture biblique où tout converge vers l’apocalypse et l’éternel recommencement de la vie ? Refuser le paradis quand se profile l’enfer d’une divinité ? Métaphore d’un couple en perdition ? L’émancipation progressive d’une femme ? Enfer de la création et de la douleur qui résulte de l’accouchement d’une œuvre ? Syndrome de la page blanche et de la vacuité même de son œuvre ?... S’aventurer sur ces raisonnements contribuerait sûrement à s‘approprier plus d’une pierre de l’édifice.


Mais Mother n’est pas un film qui s’explique. Ou plutôt chaque tentative de rationalisation contribue à nous perdre encore un peu plus dans la folie d’Aronofsky. A l’image d’un Livre qui se voudrait compréhensible de tous mais qui s’avère avoir au final des milliers d’interprétations. Des lectures multiples qui s’envisagent sous des angles tout aussi différents ; de la psychanalyse au fanatisme, du narcissisme au symbolisme, tout renvoie à une seule et même entité condensée dans une œuvre dont la radicalité fait plaisir à voir dans le cinéma contemporain. D’autant plus que l'ambiguïté autour de l’époque et des personnages renforce la multi-parabole planant sur le film.


Si bien que tout dans Mother relève de la provocation et du pure dérangement, au point qu’aucune bande annonce n’aurait pu nous préparer à une telle secousse corporelle et émotionnelle. Puisqu’au-delà même de sa puissance métaphysique, les corps s’en retrouvent malmenés, déchiquetés, glorifiés jusqu’à ce que l’humain s’en retrouve sacrifié. L’ambiance sonore contribue elle-aussi au mal-être du spectateur : de grincements en hurlements, la Psychose est totale. Une sorte de scène de la douche étirée dans sa propre horreur. Et au cœur de cette déliquescence, le regard ne passe qu’à travers l’incompréhension de Jennifer Lawrence, incroyable de délicatesse, d’intensité et de frustration. Elle est le spectateur, perdue dans le trouble de son existence. Comme une tentative d’Aronofsky d’extirper l’Amour du Chaos.


Tout se résumant au final à un cœur entre les murs. Un cœur intimement lié à la figure incarnée par Jennifer Lawrence, faisant corps avec la maison, et elle-même abîmée par chaque détérioration imposée à cet habitat organique. Une icône que le spectateur ne peut qu’incarner passivement, ce qui renforce ce sentiment de frustration. Suffoquer jusqu’à en transpirer d’émotion. La réalisation d’Aronofsky va également dans ce sens : privilégiant une photographie terne et jaunâtre ainsi que des mouvements de caméra mobiles collant à l’isolement de son héroïne (et à notre identification au personnage), il élève le dégoût et le malaise à un rang rarement atteint, où l’inconnu n’est qu’une autre phase d’une paranoïa avancée.


Et pour cause, entre la première partie Polanskienne et la seconde relevant du délire des plus improbables et illogiques, un seul mot gouverne nos sentiments : l’imprévisibilité. Une chose devenue rare à notre époque, où chaque œuvre revêt un soupçon de déjà-vu. Mais Mother n’existe véritablement que dans son instabilité. Chaque pas supplémentaire dans l’œuvre pousse le spectateur dans un non-retour nimbé de pessimisme. Jusqu’à la paralysie totale de la seconde moitié, un cauchemar ambulant symbolisé par une sorte de plan-séquence insensé, surréaliste et démoniaque. Résister est vain. Il faut se laisser prendre pour mieux être éclairé. Un moment de transe où la fascination se développe dans le cocon même de la peur. Et ce jusqu’à la dernière seconde, jusqu’au dernier plan, un visage de déjà-vu qui se retourne, transformant le film en un questionnement total, comme pour à jamais se souvenir et recommencer cette folle expérience.


Mais là où un film comme Mise à mort du cerf sacré distillait parfaitement la peur de l’absurde pour créer une tension vraiment dérangeante, Aronofsky peine à dépasser la dimension purement viscérale de son œuvre. Car, même si tout n’est que recommencement dans la filmographie d’Aronofsky (notamment autour de ses obsessions thématiques), le panache de Mother se trouve rapidement déformé par une grotesque prétention et un symbolisme quasi-outrancier, sans jamais user d’une subtilité qui aurait pu permettre à l’œuvre de s’envoler progressivement vers des sommets d’angoisse (notamment pour les personnages d’Ed Harris et Michelle Pfeiffer, pourtant parfaits dans leur rôle). Une lourdeur qui par moments s’affirme un peu trop sur le récit. Mais détester ce film revient finalement à lui conférer un statut quasi-contraire : c’est affirmer que Mother dérange, qu’il entre dans la peau et vous éventre de l’intérieur, c’est confirmer la puissance de son horreur.


Une œuvre aussi dense que sidérante en somme. Et même si les défauts ne manquent pas, Mother est une claque sans nom qui éclipse toute objectivité pour se préoccuper des palpitations de notre cœur. Et de ce casque d’irréalité augmentée, s’ensuit une immersion dans le chaos des Temps Modernes. Une immersion symbolisée par ce lourd silence d‘effroi dans la salle, rapidement comblé par une totale interrogation sur ce que nos yeux ont aperçu sur cet écran. Car c’est peut-être aussi cela le cinéma : une mère nourricière d’une cinéphilie qui ne cesse de se remettre en question et de s’autodétruire pour immerger notre rétine d’une nouvelle folie en devenir.


Gone Girl pour Monster House

blacktide
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le 21 sept. 2017

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blacktide

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