Sur la table en acajou, l’écriteau « Attention verni frais ». Dans la corbeille, des cookies et du lait en brique, des pinceaux, de la Biafine, des cigares, un briquet, la Bible, un string vert et un bocal de placenta.


-Merci d’être présents. Je ne crois vous avoir déjà présentés. A ma gauche, le comité de prévisionnage, qui donne les directives pour les reshoots. Vous avez Rick, Dick, Mick et Nick. A ma gauche, Rowan Polawsky, qui représente les intérêts de Darren. Qui a le final cut.
- Bonjour à tous.
- Bon, Rowan, il s’agit surtout de clarifier certains points. Rien de bien sérieux, je vous assure.
- Euh, moi j’ai rien pigé quand même.
- Moi j’ai cru que j’avais capté, mais quand j’ai parlé avec Mick, je me suis rendu compte que non.
- Attendez, attendez, on va pas partir comme ça
- Déjà, pourquoi le diamant il…
- Les gars, …
- Et l’organe dans les chiottes ?
- Putain mais -
- Et au final, à quoi ça -
- OH, OH !!! Fermez vos gueules. On va laisser Rowan commencer, sinon on va pas s’en sortir.
- Merci Fick. Darren comprend que certains soient décontenancés. Il a mis beaucoup de lui-même dans ce projet.
- Ah oui, je confirme, ça a giclé partout…
- Mick, si tu continues tu sors.
- Ok ok, j’arrête. Allez-y, Rowan.
- Mother ! est une œuvre symbolique, qui permet l’immersion dans une double thématique de la fertilité : celle de la mère face à son enfant et du créateur face à son œuvre. En extrapolant l’ivresse déraisonnable que procure la fièvre démiurgique, Darren en propose une matérialisation inédite et plastiquement novatrice : la maison est la femme, la femme est la muse, le cœur est la vie, la vie est un script, et les vertiges de leur croissance permettent aux personnages de se prêter au jeu le plus mortifère qui soit : celui d’être l’égal des dieux.
- C’est moi ou ça pue la merde ?
- Je comprends mieux les exécutions de masse à la fin, d’un coup.
- Bon, vous lisez vachement bien votre fiche bristol, mais je suis pas sûr que Darren vous ait rédigé toutes les réponses aux questions qu’on a à vous poser.
- Ouais, comme il dit Mick. Le diamant, là…
- Le plus simple est de grouper. Au risque de me prêter à la cuistrerie, j’aimerais vous rappeler qu’il est important de voir le film comme une application du fameux fusil de Tchekhov.
- ???
- Enfin, tout le monde connait ça : « Si dans le premier acte vous dites qu'il y a un fusil accroché au mur, alors il faut absolument qu'un coup de feu soit tiré avec au second ou au troisième acte. » Le récit est un patchwork qui mène à une conclusion sous forme de boucle inéluctable, et donne à voir l’ivresse déraiso…
- Chef, j’ai le droit de lui dire ta gueule ou pas ?
- Euh, non, pas tout de suite. Bon, on vous accorde qu’on est face à un auteur. On a bien compris l’audace : pas de musique, des mouvements de caméra de ouf avec un point de vue strictement réduit à Jennifer,
- Limite je pouvais plus la voir à la fin.
- On a quand même droit à ses seins.
- Putain, tu me fais peur. Le contexte a de quoi modérer tes ardeurs, non ?
- Des seins, c’est des seins. Et puis Jennifer, quoi, merde.
- On reprend, là ?! Donc, le fusil qui décoche.
- De… laissez tomber. Oui, tout est relié.
- Ouais, la citerne, le briquet, ok. Mais pourquoi deux heures ? Et Carrie, à quoi elle sert en fait ?
- C’est la figure de la féminité : la mère, la maison mère, la muse, le berceau de…
- Et là, chef ?
- Vas-y.
- Ta gueule Rowan. Putain, ça fait du bien.
- Moi j’ai une question. Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Des émeutes, des exécutions sommaires, du parquet qui saigne, des enduits qui palpitent, du cannibalisme, de l’opération à cœur ouvert, des organes qui se cendrifient…
- Ça se dit comme ça, cendrifie ?
- Ça s’écrit, un scénar comme ça ?
- Bon, on se ressaisit. Rowan ?
- Nous avons tenu compte des premières directives de la production. Vous avez des stars, vous avez du suspense, des jumpscares
- Oh putain l’autre, le coup des Oh oh oh, je suis derrière ton frigo !
- …on vous a mis des effets visuels de premier ordre
- … mauvaise idée d’avoir repris le même graphiste que pour Noé, d’ailleurs…
- et tout ceci converge vers une œuvre à la fois baroque et jubilatoire.
- Eh, Row, et le string de Smirnoff, alors ?
- Je vous demande pardon ?
- Le string vert, il décoche que dalle à ce que je sache…
- N’ergotons pas. Darren ne changera rien. Relisez donc la Bible. Cain et Abel, la passion du Christ... Vous êtes face à un défi fantastique : il faut embrasser l’œuvre dans son exubérance et, pour la comprendre, se cantonner à sa dimension symbolique.
- Ben putain.
- On va cantonner, alors.


Les autres réunions :


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le 8 déc. 2017

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