Je me suis toujours demandé pourquoi on ne prenait pas plus de liberté pour choisir un acteur au cinéma. Au théâtre, ça semble être moins un problème de choisir une fille pour jouer un garçon et vice-versa. peut-être à cause de son histoire : il fut un temps où femmes étaient interdites sur scène, des hommes devaient alors pouvoir tout interpréter. Au cinéma, il est plus rare de voir ce phénomène. Pas impossible, mais rare. C'est paradoxal car le cinéma est sans doute le medium qui fait le plus rêver après le livre. Le théâtre souffre en effet de sa staticité, alors que le cinéma bénéficie du découpage pour montrer l'immontrable. Parfois il suffit d'une ligne pour convaincre de quelque chose. Et c'est exactement ce qu'il se passe dans "Suture". Pour nous convaincre de la ressemblance entre Clay et Vincent, plutôt que de la montrer en utilisant des jumeaux ou un seul acteur, ou deux acteurs se ressemblant, les auteurs font juste dire aux personnages : "c'est fou ce qu'on se ressemble." Et ça marche. C'est ça le cinéma. Sans doute pour ça aussi que ce medium a su se montrer aussi efficace en terme de propagande. Tout ce qui se dit sur écran peut être facilement accepté.
Le scénario n'est pas bête non plus. Les auteurs prennent leur temps pour développer l'intrigue et s'intéressent davantage à l'état psychologique de Clay qu'à l'aspect thriller. Pendant un moment je me suis même demandé pourquoi on ne voyait pas plus Vincent. Le film commençant par le début, il n'y avait que peu de surprise quant à l'issue du film. Mais lorsque la conclusion est levée, on comprend. On comprend qu'il était nécessaire de rester collé à Clay uniquement et de laisser tomber Vincent. Néanmoins, même si ça se justifie, cet attachement au personnage empêche parfois le film de décoller. Disons qu'on trouve le temps un peu long en milieu de film pour la simple raison qu'il n'y a rien pour respirer un peu. Pendant 90 minutes, nous ne décollerons pas du sujet, pas un instant de répit. Alors qu'une petite digression aurait pu amener un nouveau souffle.
Visuellement c'est très bien foutu. Une photographie irréprochable, un découpage clair, précis, lent, hypnotisant et accompagné d'une bande son à la hauteur, faite de bruits et de sons là aussi hypnotisant. Outre cette mise en scène léchée, les acteurs sont très convaincants. Dennis Haysbert a trouvé là le rôle de sa vie. Je suis sûr que sur le moment il a pu rêver être le nouveau Sidney Poitier. Malheureusement pour lui, il n'aura plus une telle offre, du moins pas à ma connaissance.
Bref, "Suture" est un film bien foutu, bien écrit. Un peu long peut-être, un peu froid pour certains, mais qui parvient sans peine à divertir son spectateur.