Cet avis est principalement une description ; parfois la nature de ce qu'on voit vaut critique.

Ce pourrait être une belle histoire d'émancipation, ou celle d'une personne allant au bout de ses forces pour en sortir, au moins, éclairée sur son cas. Et ça l'est largement. Ça pouvait être politisé, ça l'est effectivement. Sauf que ce n'est exploitable que par les féministes ou les pourfendeurs de l'oppression, laquelle est nécessairement au moins blanche, souvent mais pas systématiquement bourgeoise. Si on veut aborder la maladie de Pica, la culpabilité, tout ce qui fait la nature du malaise d'Hunter, on ne pourra reprendre honnêtement le film qu'en venant à ces considérations-là.


Le scénario est faible et amorphe, mais le portrait d'Hunter soigné. Elle se sent stupide, misérable, potiche décevante dans un milieu froid planant au-dessus d'elle. Elle a la face rougissante, semble toujours apeurée, hébétée, soumise par défaut, accablée par la honte et l'ennui. Son mari est un cas désespéré qui n'a même pas le charme moisi de celui de Maudie ; la surveillance et le contrôle se substituent à tout effort de compréhension, il n'envisage pas de laisser à son épouse un espace à elle. C'est le type humain ne se posant jamais de questions, sauf peut-être au travail, en restant sur les chemins tracés, dont il profite depuis qu'il est né et dont rien ne semble devoir le déloger. Il s'attend naturellement à ce que n'importe qui dans son champ se satisfasse de ce régime qui le fait se porter si bien.


Cette ingestion d'objets arrive au moment où Hunter est consacrée objet et par là soudée à la famille. Enceinte, elle n'a d'autres choix que de constater sa nature de pondeuse. Pire, sa grossesse est un événement entre sa mère et son mari, avant d'en être un entre elle et lui. Hunter est une propriété familiale allouée au fils garanti 0% prodigue ; elle risque de devenir un investissement défectueux – et embarrassant. Autour d'elle, bien sûr personne n'est apte à venir à son secours, mais surtout tout le monde semble aveugle à sa détresse ; les deux femmes d'âge mûr qu'elle fréquente de force peuvent apercevoir le piège où elle se trouve, mais elles en sont complices et en voient surtout les bénéfices – simplement, il y a ces petits tracas, cette insatisfaction légère mais récurrente (belle-maman se serait vue artiste – quelle dérive bohémienne) ; sans doute ces choses-là passent avec le temps ! Heureusement Hunter la masochiste, excédée par son impuissance, trouve encore, ponctuellement, des ressources pour tenter de prendre l'ascendant (elle se montre sexuellement brutale, s'invite à la fête d'une famille qui s'est fait en dépit de son existence).


Forcément on peut ressentir une sympathie pour cette femme aliénée, ou des sentiments plus forts, d'autant que la peinture, si elle est schématique, est efficace. Sauf qu'il vient un moment où approcher les profondeurs doit obligatoirement conduire à projeter des lectures politisées, tirées d'un catalogue étroit, celui des valeurs montantes ou écrasantes de l'époque (ce que nous évitent Jumbo ou La pianiste). D'abord cette obsession, déjà vieille, du traumatisme antérieur, amenant toujours à remettre en cause la famille et en faire un lieu d'horreur. La filiation naturelle doit être malsaine ! Les gens en souffrance doivent l'être à cause d'exactions dans leur passé ! Ensuite, qui est le seul allié ? Pas franc tout de suite car empêché, c'est l'employé d'origine syrienne. En tant qu'étranger et ayant connu la guerre, lui-même a une barrière avec l'environnement et ne s'y montre ni particulièrement à l'aise, ni enthousiaste. Pourquoi pas ; c'est cohérent. Mais cela s'inscrit dans un contexte particulier et parmi un cumul de marqueurs. Avec une conclusion où l'avortement est le vecteur de la libération, puis un plan-séquence final tire-larmes tout en dignité ordinaire, où défilent des femmes dans des toilettes publiques. Et tout ça placé à côté de la mise à l'index du mâle, blanc, privilégié. Toujours on y revient, pour longtemps on y reviendra.


À une époque les problèmes venaient du capitalisme ; maintenant de l'homme (blanc cis privilégié) ; demain éventuellement des nouveaux entrants non homologués, venant pomper insolemment les ressources, avec l'arrogance et l'insouciance léguée par leurs ancêtres toxiques. Tous ces axes peuvent se cumuler (on est loin de manquer de communistes quelque soit leurs nuances et leurs apparences), mais que les porte-paroles des premiers n'oublient pas qu'avec le temps, leurs grilles de lectures et leurs réformes passent d'essentiel à simple agrément ; le progrès-liquidation du genre humain n'aura qu'un besoin formel de leurs services. C'est à se demander si jeter le petit colon blanc/patriarcal en devenir dans les eaux usées n'est pas une erreur archaïque du film ; car cet amas de cellule est parti souiller la communauté !


Même le point le plus constructif du film semble enchaîné à cette dégradation généralisée ; les deux seuls hommes auxquels on accorde une épaisseur et des circonstances atténuantes (ils respirent tandis qu'Hunter est à l'agonie) sont intimement cassés, minés par leur passé (le second est joué par un abonné des rôles de déviants et de pervers). Et par leur position, ils ne sont pas en mesure d'être des menaces pour Hunter. Voilà tout ce qui semble tolérable : des gens également piégés et de préférence à un étage social inférieur. Eux peuvent avoir un petit temps d'expression, tant qu'il entre en résonance avec un modèle de victime contemporain autrement relevé (et coutumier).


https://zogarok.wordpress.com/2020/08/26/swallow/

Zogarok

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