1er volet de la grande trilogie de la vengeance de Park Chan-wook, Sympathy for Mr. Vengeance aurait dû être vu en premier, c’est-à-dire avant le coup d’éclat international Old Boy, pour être apprécié à sa juste valeur.
On aurait tort de réduire ce film – et les suivants – à la débauche de violence qu’il contient, même s’il est difficile de ne pas s’y attarder. L’intérêt du fil narratif réside dans sa structure hélicoïdale : double spirale de vengeance dont la convergence finale aboutit à une autodestruction baroque. La sympathie du titre, à savoir l’empathie et la compréhension, est à double tranchant : les événements tragiques qui ponctuent le parcours des protagonistes nous le disent clairement, chacun a ses raisons, et le destin est un chien sadique.
Mais le baroque en question n’aurait pas la même intensité s’il ne bénéficiait du traitement si singulier que lui donne le réalisateur. Froids, méthodiques, posés, le personnage principal et son double établissent un programme clinique dont le raffinement cruel n’a d’égal que la détermination. Inversement, l’émotion avec laquelle chacun saisit la main de la morte qu’il chérit, en rêve pour le père ou dans l’ascenseur pour le protagoniste en un superbe adieu doublement muet, achève de les relier inextricablement.
L’idée maitresse est d’avoir fait du protagoniste un sourd muet, accentuant cette muraille des visages, impénétrables et dont seul l’œil, tantôt démoniaque, tantôt effaré, nous ouvre les abîmes d’une âme prisonnière. Atrophiés par l’existence, les personnages ne se construisent le temps du film que pour mieux se disloquer par la suite, s’exploser sur le bitume, se liquéfier par le sang, les selles et l’urine ou se démembrer en autant de sac plastiques maculés.
Le film impressionne néanmoins encore davantage par sa maitrise plastique. D’une rigueur formelle absolue, il établit un programme esthétique aussi pertinent que fascinant. L’ensemble du film fonctionne sur le plan fixe et souvent large, avec soin maniaque apporté au cadrage et à la composition. Le jeu des couleurs, (surtout le vert, des cheveux du muet comme de l’usine, au départ), la lumière et l’insistance sur les plongées s’accordent au discours profondément tragique. Un grand nombre de séquence se déploient comme des tableaux dont la profondeur de champ est révélatrice de chausse-trappes et d’élément fondamentaux : le protagoniste derrière la femme de ménage aux urinoirs, à nouveau caché par le colleur de stickers, par exemple, et toute la majestueuse séquence de la rivière où le pathétique se déploie dans l’arrière-plan, profondément émouvante parce qu’elle exacerbe la passivité émue du spectateur.
La surdité et le mutisme du protagoniste sont donc un argument supplémentaire pour accroitre son attention à l’image, principe qui nourrit un film virtuose dont la gradation s’accomplit logiquement dans la fixité et le silence.
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