Taurus
7.2
Taurus

Film de Alexandre Sokourov (2001)

Il y a des films qui parviennent à vous faire passer par tous vos états. L'incompréhension, le malaise, l’indifférence, la joie, la lassitude, le soulagement sont alors autant de situations que j'ai traversés en à peine 1h30 de film.
Après Hitler, Sokourov s'attaque donc à Lénine ou du moins ce qu'il en reste. Son physique oscillant entre le fantôme et le cadavre fait écho à l'ambiance morbide visible dès le premier plan : une maison isolée dans la campagne sauvage difficilement accessible en raison de la brume, très tarkovskien en somme.
En effet Lénine est malade, sa fin imminente. Le film commence, il y a de l'agitation, un médecin, un mourant. Sans le savoir se dévoilent sous nos yeux les dernières heures d'un homme qui aura marqué l'Histoire. Mais cette Histoire semble déjà si lointaine. Il n'y a plus d'idole, il n'y a plus d'admiration, il n'y a plus de fanatisme comme on avait pu le voir dans Moloch. Il n'y a que pitié. La mort quant à elle vous trouvera dans dans la non résolution d'une multiplication mathématique. Après tout, ne pas saisir une vérité du monde aussi évidente qu'un calcul, n'est ce pas déjà l'avoir quitté ?
Handicapé physiquement, n'ayant plus toute sa tête, nous assistons non sans un certain malaise à la déchéance d'une grande figure. En quelques minutes, les visages fragmentés de la garde rapprochée sont désormais nôtres. Ces visages moroses, ces êtres brisés que nous ne comprenions pas en début de film sont dorénavant nos reflets. Comme eux, nous sommes les témoins d'un spectacle pathétique, misérable, presque inconcevable.


Notre cinéaste n'a cependant jamais l'intention de jouer la carte du voyeurisme. La destruction du culte de la personnalité est seulement pour Sokourov le moyen de saisir l'humain, l'humanité (cf Moloch et Le Soleil). Lorsque le mythe s'écroule, alors l'étude de l'homme, de l'intime est à nouveau possible. Les apparences s'effondrent, l’artiste pouvant ainsi ausculter les corps et les âmes.
Pour ce faire, notre réalisateur va comme dans les deux précédents films de sa "tétralogie du pouvoir" user de deux décors : une grande demeure comme huis clos et la nature environnante. Dans le même temps l'oeuvre se divise en deux parties également. Un premier acte nous donnant à voir ce fameux huis clos morbide et malsain avant la bouffée d'oxygène d'une balade à la campagne. Puis un second acte certes plus inégal mais qui nous offre un passage de flambeau historique ainsi qu'une fin magnifique.


Taurus est donc un film qui fait mal à voir, qui fait peine tant Lénine y est faible. Un homme comme tous les autres face à sa fin. N'oublions pas que nous sommes alors en 1924, soit deux ans après son éviction par son héritier Staline. Deux ans que notre idole déclinante est exclue de toute vie politique, isolée dans la campagne en attendant sa mort prochaine. Une fin pathétique mais qui dans son malheur va nous livrer quelques instants mémorables.
En effet Sokourov à travers "sa" version de Lénine va réussir à capter l'essence de l'homme, son moi sensible. Un homme fou et misérable dans sa demeure mais terriblement émouvant quand il est en pleine nature en compagnie de sa femme. C'est bien dans un champs de fleurs que ce dernier avoue son envie de tout laisser derrière lui, préférant travailler la terre sans l'aide d'aucun paysan. Un passage d'une grande beauté à l'ironie flagrante. C'est également en usant de son savoir devant un Staline hautain que Lénine fait preuve de présence d'esprit. Des lueurs éphémères mais ô combien touchantes et admirables.
De sa tétralogie, nous avons là le film qui visuellement colle certainement le plus au cinéma de Tarkovski, son maître. Des tons de couleurs variants au gré des points de vues et donc des réalités, de lents mouvements de caméra saisissant l'intime et l'humain, une nature sauvage habitée, etc.


Après 1h30 d'images aussi belles qu'éprouvantes, notre idole peut alors partir.
Tandis que l'orage éclate, l'homme est enfin seul loin de ses semblables, pour la toute première fois. C'est en compagnie des anges qu'il peut désormais se retirer. L'humain s'éteint, l'idole renaît.


Merci pour ces moments.

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le 29 juil. 2016

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Chaosmos

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