Taxi Driver est un film entré dans le panthéon du septième art, devenu, aujourd’hui, une référence connu de tous, et ayant fait partie des films qui lancèrent la carrière de Robert de Niro et, surtout, de son réalisateur, Martin Scorsese.
Quelques secondes, à peine, suffisent pour dresser un portrait du personnage principal, et donner le ton du film. La caméra fixe de très près le regard d’un homme, qui se promène pour observer ce qui l’entoure, tout en étant accompagné d’expressions subtiles mais suffisamment perceptibles pour discerner le sentiment d’égarement et de peur qu’il traduit. Pendant ce temps, le spectateur est directement saisi par la musique de Bernard Herrmann, qui le plonge immédiatement dans cette ambiance mélancolique et douce d’une nuit New-Yorkaise, tout en l’alarmant face aux nombreux dangers qui s’y cachent. Vous êtes invités à suivre la vie de Travis, un jeune homme sans histoires, chauffeur de taxi à New York. Ce n’est pas la New York de Broadway ou de Times Square qui nous intéresse, mais celle des quartiers, où rôdent de drôles d’oiseaux en ces heures tardives.
Travis n’est pas conforme à la société qui l’entoure, et son métier de chauffeur de taxi en est une résultante logique : il accompagne et côtoie la société à longueur de nuits, mais ne fait que la traverser sans en faire partie. Le thème musical principal du film illustre ce monde à deux facettes dans lequel il évolue avec, d’un côté, ces mélodies douces qui créent une mélancolie ambiante, et ces intermèdes plus percutants et secs, qui font jaillir cette violence qui peut surgir à tout instant.
Ce monde est violent, physiquement et moralement, pour cet homme qui se trouve face à sa propre condition d’individu aliéné, écrivant le récit de chacune de ses journées dans un journal, tout en les faisant s’écouler de manière indifférente, étant embourbé dans une routine épuisante. Entre volonté de s’accomplir et incapacité ou manque de volonté de s’émanciper, Taxi Driver confronte expression de l’individu et aliénation sociale en décrivant une réalité aussi sèche que crédible, jamais déformée, illustrant à merveille le sentiment de solitude dans un monde qui grouille.
Incapable d’interagir en société, à l’image de la scène lunaire où il essaie de discuter avec la caissière du cinéma avec le son des films pornographiques en fond, ou de l’échec cuisant sur lequel va aboutir son rendez-vous galant avec Betsy, Travis incarne l’image d’un homme seul et en quête de sens à son existence. Il le cherche, et quand il le déniche, il se trouve animé d’une volonté et d’une rage impossibles à contenir. Quand il voit Iris, illustration d’un système qui la soumet et qui se préoccupe peu de son sort, mais qu’elle défend tout de même, il voit le reflet de ce qui le répugne le plus dans ce monde.
Très tranchée, l’opinion de Travis est exposée sans détour ni contradiction. Il ne s’agit pas de l’imposer au spectateur, simplement de faire vivre ce personnage dans ce décor souvent sinistre et cynique, dont il n’est finalement qu’un reflet. Car Taxi Driver est avant tout un film qui baigne dans la réalité, qu’il restitue à la merveille, dans cette capacité à faire surgir l’inattendu, à créer un écart systématique entre attentes et réalité, pour toujours nous y ramener.
Eviter les redites sur un tel film relève de l’impossible. Il suffit de saluer l’extraordinaire performance de Robert de Niro, qui porte à bout de bras ce rôle si difficile à endosser, mis en lumière part un Martin Scorsese qui s’amuse à jouer les marionnettistes au détour d’une scène, le tout sur la base d’un scénario signé Paul Schrader, dont on sent déjà tout le cynisme et la vision d’un monde qui court à sa perte. Filmer la réalité, et la retranscrire, est certainement ce qu’il y a de plus difficile au cinéma, mais le cinéaste y arrive parfaitement avec Taxi Driver, tableau mélancolique, presque dystopique de ce monde impitoyable qui nous enferme et bloque les portes de sorties, qui mènent vers l’inconnu, et qui suscitent la peur. Viennent les notes de la musique de Bernard Herrmann, qui signe ici sa dernière oeuvre, accompagnant le temps qui s’écoule, dans une boucle où ne finissent par subsister qu’une étrange forme d’amertume, de cynisme et de peur.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art