Le cinéma asiatique semble avoir un don propre à sa culture, (que, je le confesse, je connais assez mal) qui consiste à dire beaucoup dans la pudeur. Dans un milieu où il n’est pas commun de formuler ce qui agite le cœur, par sens de la dignité, humilité mais aussi refoulement, le rôle dévolu à l’image et particulièrement celle du cinéma, est fondamental : des portraits, des situations, des échanges, même peu prolixes, occasionnent le surgissement d’une autre émotion. C’est le cas dans la fixité austère du cinéma d’Ozu, dans le mutisme du personnage de Kitano dans Hana-Bi, et dans ce film de Kore-eda.
L’argument narratif avait pourtant de quoi susciter bien des pics émotionnels : l’échange de bébé appris 6 ans après bouleverse deux familles qui vont devoir faire un choix : l’échange ou non. Le film ne se départit pratiquement jamais de sa délicatesse, grâce à une photo soignée et des comédiens subtils : l’interaction entre les personnages et leur espace fait l’objet d’une attention particulièrement soutenue, par le recours aux plans d’ensemble (les cages d’ascenseurs, le centre commercial, mais aussi la rivière dans cette scène au tournant du film) qui leur assigne un rôle souvent contraint. Les enfants, particulièrement bien dirigés, mènent sans le savoir une danse traumatisante et presque immobile : observés, auditionnés, ils vivent sans le savoir les derniers instants d’une forme d’innocence.
L’intérêt du point de vue conditionne tout le récit : en commençant par la famille la plus propre sur elle, Kore-eda joue un jeu assez malin qui rappelle la manipulation opérée par Farhadi dans Une séparation : feindre le parti-pris. La nette opposition entre les deux cellules va permettre un regard sociétal approfondi, ainsi qu’une leçon d’apprentissage sur la paternité. Entre course à la performance (le travail dévorateur, le piano, l’école privée) et l’ode à la procrastination, un père mitan et idéal semble se dessiner.
C’est peut-être là la limite du film : la volonté insistance avec laquelle il pose sa démonstration. La dichotomie entre les deux familles n’est pas loin du plan de dissertation, chaque élément se retrouvant systématiquement contré par son opposé. Si la délicatesse du jeu le rend touchant, la pesanteur du discours l’émousse quelque peu, notamment dans des redondances un peu poussives, comme le thème du camping par exemple : évoqué comme un mensonge à l’audition pour l’école privée, puis mis en pratique par un père « nouveau » ayant bien compris la leçon…
(Spoils)
L’autre point délicat est ce primat accordé au sang, et qui laisse supposer que ne serait notre fils que l’être par lequel on serait lié biologiquement : un discours que défendent bien des personnages, et notamment le culte religieux des ancêtres. La question centrale du statut des enfants non biologiques (qu’on pourrait considérer a posteriori comme des adoptés) est finalement peu creusée : certes, les parents évoquent l’idée de garder les deux (là aussi, chacun leur tour, histoire de bien asseoir la structure binaire…), mais la déchirure de la séparation, voire l’avis des enfants sont considérés comme secondaires. Etonnante évidence, cet échange occasionne certes la réconciliation entre le père et son premier enfant, mais pour mieux le quitter. Cet incontournable contraint les personnages de façon assez violente, sans qu’aucun regard critique ne vienne vraiment la nuancer, et c’est peut-être là le plus grand fossé qu’on peut constater entre les personnages et un spectateur qui voudrait voir leur sensibilité davantage questionnée.
Mais reconnaissons-le : en dépit de ses airs de copie de premier de la classe, si Tel Père, tel fils occasionne de telles réactions, c’est bien grâce à la délicatesse avec laquelle il aura su incarner ses personnages et les choix cornéliens auxquels ils sont confrontés.