Si Hunter S. Thompson était encore de ce monde, nul doute qu'il aurait un énorme sourire aux lèvres en découvrant les aventures de Moondog, presque équivalent fictif contemporain de l'écrivain dans le nouveau film d'Harmony Korine.
Avec la quasi-totalité des paradis artificiels de la planète se déversant en permanence dans ses veines et neurones, Moondog est un poète de génie, quintessence d'un esprit libre assumant complètement son mode de vie excentrique en compagnie des marginaux des Keys en Floride dont il pourrait être considéré comme la plus illustre célébrité faisant le lien entre toutes les communautés par son charisme. Jusqu'à maintenant, le bonhomme menait sa vie de bohème comme il l'entendait, rabrouant ceux qui le questionnaient sur les avancées de son prochain livre et leur préférant sans mal tous les divertissements alcoolisés, narcotiques et sexuels que la vie avait à lui offrir. Seule peut-être la voix sa richissime femme pour qui il nourrit un amour sans limites pouvait le contraindre à revenir à terre le temps de remplir quelques obligations familiales comme le mariage de sa fille par exemple. Mais, même là, vu le mode de fonctionnement tout aussi déjanté que la personnalité de Moondog lui-même de cette famille et de son entourage (seule sa fille tente de se rapprocher d'une certaine normalité), inutile de dire que cela ne bouleversait en rien les excès coutumiers du poète.
Seulement, à la suite d'un drame, Moondog se retrouve du jour au lendemain sans le sou et avec l'obligation de finir un nouveau livre s'il souhaite récupérer son existence d'électron libre qui était la sienne. Tout être humain se serait alors remis un minimum en cause au moins le temps de parvenir à ses fins pour retrouver les joies de cette vie dissolue... mais pas Moondog. Contraint et forcé devant ses actes de plus en plus incontrôlables, il va bien accepter que l'on tente de lui mettre quelques brides mais celles-ci vont vite être réduites en cendre face au brasier libertaire qui l'anime. Car, oui, rien ne peut changer Moondog et il n'a que faire des limites que l'on veut lui imposer !
"The Beach Bum" est donc une immense déclaration d'amour à la liberté véhiculée par son héros qui choisira toujours et avant tout de rester ce qu'il est profondément, sans bouger d'un iota vers une quelconque évolution moralisatrice. Certes, on entreverra souvent la mélancolie du personnage à travers des paroles traduisant son génie créatif et la trace indélébile de certaines épreuves mais Moondog restera toujours Moondog dans sa plus pure quête de plaisirs hédonistes et ce quelles ques soient les rencontres les plus absurdes sur sa route (chacun est toujours illuminé par l'aura du personnage au bout du compte).
"The Beach Bum" va en effet nous aventurer en compagnie de Moondog dans une faune improbable de seconds rôles tous aussi azimutés les uns que les autres. Entre un Zac Efron en sidekick/fils de substitution avec une soif de liberté que l'on a aussi essayé de museler, un Martin Lawrence en capitaine expert de dauphins autoproclamé ou un Snoop Dogg à la fois meilleur pote de défonce et amant de la femme de Moondog, Harmony Korine nous balade perpétuellement au fil des pérégrinations du poète. Si le réalisateur-scénariste s'est toujours intéressé à ceux qui choisissent sciemment de se diriger en marge de la société, avec Moondog et sa propension à aller vers aussi (plus ?) fou que lui, il trouve une espèce de catalyseur parfait pour exalter ce côté non-conformiste qui a toujours animé sa filmographie. Même visuellement, sa mise en scène si sensorielle se marie à merveille avec le soleil de Floride et les néons des bas-fonds si bien que les odeurs de transpiration, d'alcools ou de joints à la taille gargantuesque transpirent de l'écran pour nous enrôler assez facilement dans l'univers coloré de l'état d'esprit de légèreté d'un Matthew McConaughey livrant encore là une prestation absolument fabuleuse dans le rôle principal.
Les similitudes sont donc grandes entre les esprits si sympathiquement rebelles d'un Moondog et d'un Hunter S. Thompson, les liaisons entre "The Beach Bum" et le ton affranchi de restrictions des œuvres de l'écrivain sont nombreuses, peut-être que le premier n'atteint pas la verve comique du deuxième (on s'y marre déjà pourtant beaucoup !) mais il est incontestable que tous deux prônent le choix d'une vie différente et d'embrasser pleinement cette voie sans ce soucier de la morale du plus grand nombre. En reprenant cette donne à son compte en 2019, "The Beach Bum" clame son amour pour tous les marginaux et autres freaks qui ont choisi de l'être malgré une société de consommation qui tend à prôner le conformisme comme clé de sa survie. Il suffira de voir le dernier acte de Moondog dans le film qui en sera le parfait symbole, un dernier pied-de-nez magistral aux limites qu'on a tenté de lui imposer tout au long de son odyssée.
Oui, il n'y a vraiment aucun doute à avoir, Hunter S. Thompson aurait adoré...