Bien plus que le meilleur film Batman
Impressionnée par le travail de Christopher Nolan sur ses projets imposés, la Warner. avait laissé le réalisateur s’occuper du Prestige en toute confiance, et cela avait porté ses fruits dans le monde cinématographiques : succès critiques de grande ampleur et deux nominations aux Oscars (Meilleure direction artistique et Meilleure photographie). Ayant conscience des défauts de Batman Begins provoqués par le manque de libertés limitant à l’époque le réalisateur, la production décida alors de lui laisser faire le film qu’il voulait. Ni plus ni moins, Christopher Nolan s’attela rapidement à la tâche avec le scénariste David S. Goyer (qui travaillait toujours sur l’histoire depuis le premier opus) mais aussi son frère Jonathan, avec qui il avait accompli des merveilles sur Memento et Le Prestige, afin de livrer ce qui deviendra comme l’un des longs-métrages les plus marquants de sa filmographie et du cinéma des années 2000.
Sur le papier, pourtant, The Dark Knight n’avait pas grand-chose de bien passionnant à raconter, si ce n’est la continuité de Batman Begins en matière de thématique (la justice en opposition à la vengeance). Et tout cela pour quoi ? Juste pour mettre en scène un face-à-face entre Batman et son ennemi de toujours, le Joker ? Après avoir lu des dizaines de comics, vu des épisodes animés et le film de Tim Burton avec Jack Nicholson, les fans de l’Homme Chauve-Souris étaient vraiment en droit d’attendre autre chose que cette trame scénaristique un brin bateau. Sans oublier les innombrables clichés associés au genre des films de super-héros. Mais justement, c’est en faisant un simple thriller et non une banale adaptation de bande-dessinée que Christopher Nolan va trouver toute la puissance de son Dark Knight.
Ici, le cinéaste s’intéresse bien plus au personnage qu’est Bruce Wayne/Batman et à ce qu’il représente plutôt que les séquences d’action avec lesquelles il ne semblait pas vraiment à l’aise dans Batman Begins. Dans The Dark Knight, elles sont moins nombreuses (juste une course-poursuite et deux-trois corps-à-corps de quelques minutes) bien que plus posées et donc plus lisibles sans perdre leur panache ; permettant ainsi à Nolan de dévoiler son héros au grand jour, c’est-à-dire un simple être humain costumé et armé de gadgets qui fait plus appel à sa déduction plutôt qu’à ses poings (sujet un peu survolé dans Batman Begins). En procédant de la sorte, Nolan inscrit Batman dans un univers encore plus réaliste que dans l’opus précédent, le faisant évoluer dans une Gotham City bien plus proche du Los Angeles de Heat que de celui de Blade Runner, qui lui permet ainsi de donner une toute autre vision du super-héros, différente de l’image optimiste délivrée par Marvel et ses Iron Man, Spider-Man et autres 4 Fantastiques. The Dark Knight propose ainsi le titre de super-héros comme un lourd fardeau à porter qui, malgré un but louable, n’engendre que chaos et sacrifices. Un symbole qu’il faut être prêt à défendre même si cela attire des criminels fous dangereux et la colère des gens. En somme, Nolan livre un Batman sûr de lui mais plus tourmenté que jamais, qui doit combattre un Joker implacable et imprévisible au possible (dû au fait qu’il n’est ni histoire ni passé) ayant toujours une longueur d’avance sur son adversaire et se présentant comme la part sombre de ce dernier.
Et tout cela au service d’un thriller politique qui ne ménage jamais le Chevalier Noir, lui faisant vivre des moments qui remettent en question le statut de super-héros dans notre société. Un scénario qui capte l’attention du public sans jamais la lâcher, le surmenant également par un dynamisme exemplaire dû à des séquences parallèles (actions commentées et se déroulant en même temps) montées à la perfection, des trames secondaires bien écrites (la montée en puissance du Joker, le désarroi de la pègre, la succession de Wayne en Batman, le triangle amoureux Wayne/Dawes/Dent…), et une ambiance à la noirceur inattendue, embellie par la photographie de Wally Pfister et les compositions du tandem Hans Zimmer/James Newton Howard au top niveau, sans toutefois mettre un humour (souvent noir avec le Joker) bienvenue et mettant toujours dans le mille. Le tout, qui plus est, en utilisant les clichés des films de super-héros (femme en détresse, happy end…) pour mieux les contourner et étonner le spectateur comme jamais. Le Britannique fait donc ainsi de son film un divertissement hollywoodien se vantant d’avoir une efficacité et une intelligence rarement atteintes dans ce genre de blockbusters, qui ne laisse jamais son public indifférent, le malmenant aussi bien que son personnage principal avec des séquences, retournements de situation et autres révélations qui se présentent à chaque fois tel un uppercut à la puissance démesurée.
En somme, Christopher Nolan livre avec The Dark Knight un film de super-héros diablement réaliste, qui peut également compter sur un rendu visuel des plus bluffants. Bien loin du « délire » numérique de Batman Begins (déjà que ce film ne comporte pas beaucoup d’effets spéciaux par rapport à la moyenne du genre), The Dark Knight cumule les cascades et autres effets « faits à la main » (comme l’explosion d’un bâtiment) pour en mettre plein la vue, complétant le tout par l’ajout de très rares numérisations (dont l’impressionnant visage de Double-Face) pour que l’illusion prenne forme sans que l’œil devenu averti du public ne s’en rende compte. Il faut dire aussi que Nolan a su, une nouvelle fois, s’entourer de comédiens exceptionnels, reprenant ceux qui avaient fait fureur dans Batman Begins, effectuant des changements là où il fallait (Maggie Gyllenhaal remplaçant Katie Holmes) et faisant appel à de nouvelles têtes mémorables, dont un Heath Ledger qui vaut à lui seul le déplacement dans la peau du Joker. Un casting cinq étoiles auquel le spectateur s’attache sans aucune difficulté, lui permettant de ce fait de croire en la crédibilité, au réalisme de The Dark Knight ainsi qu’à sa cruauté inattendue dans ce genre de film.
Vous l’aurez compris, pour que Christopher Nolan réussisse pleinement un long-métrage, il doit avoir toutes les libertés possibles et inimaginables. The Dark Knight en est la preuve, le Britannique étant arrivé à réaliser un blockbuster maîtrisé de bout en bout, superbement écrit et qui n’ennuie jamais. Mieux, Nolan est parvenu à s’affranchir des nombreux codes du super-hero movie pour carrément réinventer le genre, faisant de son film le modèle de futurs projets hollywoodiens qui ne lui arriveront pas à la cheville (Man of Steel, par exemple). Et enfin, avec cette suite de Batman Begins, Nolan a su livrer l’un de ses meilleurs films. L’un des plus aboutis. Tout bonnement l’un des plus percutants en termes d’écriture, de mise en scène et de divertissement. Batman Begins avait fait renaître le Chevalier Noir de ses cendres, The Dark Knight le propulse au sommet de sa gloire !