Uncharted
Avec six films à son actif en vingt-deux ans de carrière, James Gray est un réalisateur qui sait se faire désirer. Dans The Lost City of Z, Gray abandonne la jungle New-Yorkaise qu’il connaît si bien...
le 19 mars 2017
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Pour son sixième long-métrage, le réalisateur américain James Gray a décidé de quitter la jungle urbaine new-yorkaise - son lieu de prédilection pour mettre en scène une intrigue - et de partir à l'aventure dans une véritable forêt à la réputation mythique. Avec ce premier projet en dehors de ses habitudes, quoique « The Immigrant » dénotait déjà un petit peu avec son approche de film historique, Gray s'empare désormais des exploits légendaires de l'explorateur britannique Percy Fawcett pour en faire sa dernière histoire en tant qu'auteur. Contrairement aux nombreuses déclinaisons déjà existantes des péripéties de Fawcett, que ce soit en roman ou en bande dessinée, le cinéaste américain n'a pas cherché à reproduire un énième film d'aventure dans l'enfer vert mais utilise cette magnifique toile de fond pour y insuffler les thématiques qui sont propres à son univers cinématographique personnel.
Difficilement comparable avec un « Apocalypse Now », un « Fitzcarraldo » ou encore un « Cannibal Holocaust », le film ne dresse pas le portrait d'une jungle personnifiée, incarnée et fantasmée. Ce qui prime est la quête obsessionnelle d'un homme abandonnant à plusieurs reprises femme et enfants pour atteindre un but qui n'existe peut-être pas, faisant écho à l'un des éléments centraux du cinéma de James Gray : la thématique familiale. L'accent n'est pas mis sur l'épopée d'un homme bravant la terrifiante forêt amazonienne, les séquences dans la jungle sont d'ailleurs assez courtes mais demeurent belles et subtiles, magnifiées par la photographie de Darius Khondji. Il est question de dépeindre un paysage réaliste, tout en sobriété, à l'image du pragmatisme des explorateurs britanniques de la Société Royale de Géographie ; un paysage qui ne semble pas démordre de son aura envoutante, mystérieuse et poétique malgré un récit qui avance dans le temps, année après année.
Le choix de segmenter le métrage, même s'il ne permet pas de développer suffisamment en profondeur tous les aspects de la vie et des explorations du Major Fawcett, favorise une vision qui n'est pas dénuée d'intérêt pour l'intrigue : voici la vie d'un homme en quête de réponses et d'honneur, dont les différentes phases de son évolution psychologique sont ponctuées par une aventure à l'autre bout du monde, et par la naissance d'un enfant. Une vie contée en plusieurs épisodes un peu à la façon de « Barry Lyndon ». La première exploration démontre la réticence, la réserve généralisée en Europe à voyager jusqu'en Amazonie, Fawcett est alors le père d'un fils unique. Quand le Major s'en va pour la deuxième fois, il attend un second enfant, un autre fils, l'ambiance est désormais caractérisée par l'excitation d'effectuer une grande découverte qui chamboulera l'état de la connaissance humaine à ce moment de l'histoire. Puis s'en suit la Première Guerre mondiale, période fragilisant davantage le cercle familial qui s'agrandit avec la naissance d'une fille. Finalement, la troisième exploration aura raison du Major et de son fils ainé comme une fatalité qui embaume inéluctablement l'histoire de la famille Fawcett. James Gray ne s'éternise sur aucun moment et poursuit avec fluidité son récit segmenté qui illustre simultanément la montée et la chute d'un homme, ainsi que la déconstruction de sa famille.
Alors qu'il semble toucher du doigt son objectif, Percy disparaît et ne pourra jamais connaître la satisfaction d'avoir pleinement réussi. S'étant initialement embarqué dans cette croisade afin de laver son nom - souillé par un père excessivement joueur et buveur -, l'explorateur voit sa vision progressivement transfigurée, ne posant plus son regard sur sa propre histoire passée mais sur celle d'une civilisation disparue, à la grandeur d'antan qui fait frissonner les occidentaux désabusés par les différentes légendes ayant précipité la chute des conquistadors. Le Major ne parvient pas exister en dehors de sa quête personnelle, laissant choir sa famille comme l'avait fait son propre père de par son comportement désinvolte. Très loin du film d'aventure à la « Indiana Jones » ou autre, « The Lost City of Z » est une œuvre plus mature qui trouve sa force dans sa dimension dramatique et dans les thématiques qu'elle soulève, comme le manque de considération portée par l'Homme blanc sur l'Homme sauvage, la place de la femme dans une société occidentale du début du XXème siècle ou encore la détermination dont peut faire l'Homme dans sa propre névrose.
À travers le mouvement de sa caméra, Gray matérialise une nouvelle obsession du tissu familial : un fils doit-il devenir son père ? - ou du moins, un fils est-il destiné à faire comme son père ? Une thématique que le réalisateur utilisera avec encore plus de force dans son dernier film, « Ad Astra ». Lorsqu'il se trouve en Amazonie, Fawcett, brillamment interprété par Charlie Hunnam, semble chez lui, comme s'il était à la maison. Ce dernier formant un duo extraordinaire avec un Robert Pattinson méconnaissable, chacune de ses actions d'explorateur a une portée allant vers les siens en Angleterre : sa gloire permet à sa famille de vivre décemment et de recouvrer une certaine forme de gloire après avoir hérité d'une mauvaise réputation. Lorsqu'il est de retour au pays, tous ses espoirs et rêves cachés le reconduisent inextricablement à la cité de Z. Le temps passe et les préoccupations de Percy Fawcett évoluent, passant de ses instruments de topographie et de cartographie à la photographie de la jungle et de ses habitants locaux dans l'espoir éternel de se rapprocher enfin de la cité perdue.
Nous retrouvons donc des thématiques propres au cinéma de Gray que ce dernier va mettre en scène de manière originale au sein de sa propre filmographie. Pour la première fois, en contradiction avec ses cinq premiers films, ici la famille n'est plus une prison physique ni un enfermement psychologique dans une tourmente vicieuse mais la source d'un élan vers l'inconnu, vers le destin, vers un accomplissement personnel obsessionnel. Un accomplissement qui mènera le personnage à reproduire l'abandon de son père sur sa propre famille et qui le conduira à un dénouement presque inévitable, comme un coup du destin. Avant même que la troisième exploration ne commence, la mise en scène suggère que cette fois-ci sera particulière, comme si durant le travelling arrière filmant la petite fille courant après la voiture qui emmène son père et son frère aîné... cette dernière savait déjà qu'elle ne les reverrait plus jamais. Les choses vont rapidement tourner court pour nos deux aventuriers, Fawcett père et fils, dont l'exploration et l'enfoncement dans cette forêt mystique s'interrompra juste avant d'avoir trouvé les vestiges de la cité de Z.
James Gray et son chef-opérateur nous enchantent par quelques plans et séquences absolument sublimes où la délicatesse de l'image souligne l'émotion dramatique du récit avec un éclairage subtil et esthétique, ainsi que des clairs-obscurs et des portraits d'une beauté poétique. Je pense notamment à l'une des séquences les plus importantes afin de témoigner de l'ambivalence psychologique et existentielle du Major Fawcett : lorsque ce dernier est allongé dans un lit d'hôpital, les yeux bandés après avoir été intoxiqué au gaz moutarde durant la Bataille de la Somme, devinant le visage de ses enfants et de sa propre femme tout en pleurant ces rêves brisés de gloire et de découverte dans une Amazonie qui est devenue une réelle obsession indémêlable. Je n'oublierai pas non plus cette séquence, aussi belle qu'éprouvante, où les indiens décident à travers un rituel nocturne des plus déconcertants d'aider ces deux occidentaux à trouver leur âme... un instant sur lequel il est difficile de s'exprimer, mais un instant de pur cinéma où la poésie de l'image en mouvement et de la musique vous aspire littéralement en son sein, sans que vous ne puissiez faire quoi que ce soit.
Le réalisateur américain signe ici l'un de ses plus grands films. Une histoire passionnante et chargée en émotions. Une intrigue d'une rare intensité dramatique. Un subtil portrait de l'humanité. Une œuvre débordante de la vision de son auteur et des thématiques qui lui sont propres : la famille, le destin, le choix, la dualité de la figure paternelle... que l'on ne veut pas suivre mais que l'on suit quand même. Un long-métrage bourré de qualités cinématographiques, sans être parfait non plus. En effet, le choix de segmenter ainsi la trame ne permet aucunement un développement en profondeur de la vie du personnage ou de la vie de la forêt amazonienne. James Gray nous offre un drame familial, bien plus qu'un film d'aventure, qu'un film historique ou qu'un biopic. Il est vrai que l'on aurait voulu en savoir plus sur cette jungle, sur cette civilisation disparue, sur cette citée cachée du nom de Z. Il est vrai que l'on aurait voulu en savoir plus sur la vie d'explorateur de Percy Fawcett, mais cela a déjà été fait ailleurs et ne relève pas de la volonté de l'auteur, car ici Gray n'a pas souhaité nous proposer autre chose que ce qu'il y a dans son œuvre, qui semble parfaitement maîtrisée en définitive, en accord avec sa vision.
Il est également reprochable au film de manquer de clarté quant au temps qui passe. Effectivement, le temps est un postulat primordial dans le métrage où tout tourne autour du passé, du présent et de l'avenir. Cependant, nous avons un peu de mal à percevoir et à ressentir le temps qui s'écoule malgré le découpage de l'histoire, épisode après épisode, pendant plus de 2 heures. Rien de catastrophique mais un petit détail qui aurait pu être évité je pense. Outre la naissance et l'évolution des enfants Fawcett ainsi que les indications spatio-temporelles sous-titrées, la mise en scène aurait pu être plus explicite quant à la continuité temporelle de l'intrigue. « The Lost City of Z » s'éteint tout de même avec grâce, tout en subtilité, lorsque Sienna Miller jouant la mère, quitte la Société Royale de Géographie. Elle y dépose la boussole qu'elle a récupéré, véritable symbole du cap qui guida l'explorateur tout au long de sa vie, mémoire de la quête de son mari ; puis s'en va à travers un jardin tropical, faisant écho à la lointaine Amazonie, tentant de faire le deuil de l'homme qu'elle a aimé et qui a disparu dans l'épopée d'une quête obsessionnelle sans fin.
Créée
le 28 sept. 2019
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